Sunday, November 07, 2010

STOCKHOLM

La nuit est tombée depuis longtemps quand je rentre. Si on était en été, je pourrais écrire la même phrase. La course démarre à 7 heures. Mes nuits sont peuplées de schémas, de pathway, d’images de synthèse, de discussions. Un univers permanent. Un moment de temps libre et je m’échappe pour quelques heures. Le ciel est bleu, les feuilles dorées, les eaux de la Baltique denses. Je grimpe dans le bus et me retrouve à Kulturhuset, la maison de la culture, un grand block de verre qui étale sur plusieurs étages ses théâtres, ses galeries, librairies, salons, cafet. Je suis happée par les boutiques de design passant plusieurs minutes à déchiffrer la fonction des objets. J’entre dans plusieurs autres, tire les pans de tissus des rayons puis les laisse retomber avec dépits.

En matière de commerce équitable, la suède est championne. Deux beaux trophées viennent honorés les étagères du royaume: I.K.E.A. et HandM (j’emploie des noms d’emprunt pour éviter de me faire googlisée. Peut-on imaginer le salaire annuel moyen au Bangladesh, en Inde ou au Vietnam? Soit vous le savez et vous l’oubliez tout de suite. Soit vous ne le savez pas et ne tenez pas à le savoir. En effet mieux vaut pas savoir la saloperie qui se cache derrière nos édredons colorés, nos slims cobalt ou cendrés, nos mugs cosy, nos ponchos aux motifs ethniques, nos voilages mordorés, nos bougeoirs à paillette et notre mobilier de salle de bain. C’est pas jojo. Ik (donnons-lui un diminutif) n’a pas attendu la crise pour délocaliser, claquer la porte aux nez des travailleurs européens. Déjà, dans les années 90, la multinationale employait (et le mot est largement au dessus de ce qu’il faudrait utiliser) goulument les enfants, lépreux ou en bonne santé pour sa manufacture. Heureusement les faits ont fait scandale et, en 94, le palais du plaid et de la descente de lit a fait machine arrière. Ok, on va laisser les gosses aller à l’école. Depuis Ik s’est même offert un code de conduite (la vache! la sueur a dû couler dans les bureaux): l’Iway qui s’engage sur des normes environnementales et sociales. Ik publie même un rapport annuel. Mais bon, le rapport est fait en interne, au sein même d’Ik, sans contrôle indépendant et la chose n’est pas rendu publique bien sûr (faut pas pousser quand même). Toutefois on sait des choses, oui! des enquêtes sur le terrain, réalisées auprès des fournisseurs laissent voir de grosses faiblesses dans l’Iway:

Dépassement permanant du nb max d’heure de travail: 80 à 90 par semaine

Retards systématiques de paiement des salaires

Les heures supp pas payées en heure supp (c'est-à-dire le double)

La liberté d’association des travailleurs et leur droit à la négociation collective non reconnus.

On est loin du compte quand même. J’ai pas fait ma petite enquête auprès de HandM mais mon petit doigt me dit que je trouverais des choses similaires. Un chiffre d’affaire mirobolant de 14,8 milliards de dollars, comme pour Ik? c’est bien possible.

J’ai pensé à tout cela en voyant la navette gratuite lancée à grande vitesse dans le centre de Stockholm destination le royaume enchanté de l’intérieur. Et je le raconterai dans mes pages et je publierai ce post en transit dans l’aéroport de Munich, mon laptop sur les genoux. Finalement ça ira bien avec tout le reste: le carnet aux pages jaunis, ma valise à roulette, mon badge de congressiste, mes réveils trop matinaux, mes fringues à la mode, mes chaussures bobo, mes crèmes de jour, mes idées de gauche, mes courses sur le trottoir pour arriver à l’heure, ma fatigue des voyages…