Sunday, November 27, 2011

CHASSE A L'HOMME - épisode 2/7

Ces mots m’étaient adressés, chère lectrice, cher lecteur! J’avais du mal à contenir mon étonnement. Presque dix ans s’étaient écoulés depuis ma dernière visite. Elle en voyait du monde en sa qualité de commerçante, des centaines de clients par mois. Était-il possible qu’en un seul coup d’œil elle me situe dans le temps? «Peut-être» répondis-je dubitativement en actionnant la petite cuillère.

Le garçon qui assurait le service dans la salle se tenait parmi les membres du petit groupe.

«Louis, dit Joséphine, prenez ma place au comptoir, je descends une minute à la cave».

Sur ce, elle tira sur une trappe dont les contours se dessinaient sur le sol. Je me penchai par-dessus le zinc et la vis disparaître, descendant prudemment les marches de biais. Quelques minutes plus tard, elle remonta, une vieille boîte à biscuits en fer entre les mains. Elle referma soigneusement la trappe, tira un tabouret et prit place, la boîte poussiéreuse sur les genoux. Elle appuya ses coudes sur la boîte et commença. Mon cœur palpita. Quelle chance! Pour vous, pour moi, chers lecteurs, je devinai que notre Joséphine était toute disposée à nous livrer un récit de son cru.

Nerveuse, je ne cessais de remuer la cuillère dans la tasse provocant l’apparition de spirales dans la mousse du café. Les spirales semblaient s’animer, un peu comme dans ce film d’Hitchcock qui se passe à côté d’un pont, vous savez? Ah! Mais j’ai oublié le titre. Enfin, passons. Les spirales s’enroulaient et il semblait que j’avais actionné une machine à remonter le temps. C’était… comment vous dire… surprenant. Joséphine parlait d’un type qui avait habité le quartier il y a longtemps. Elle avait soupiré en évoquant son nom à Bernard. «Le destin a des armes bien cruelles, constatait Joséphine à notre intention. Mais s’il se contentait de les posséder, ça irait! Non! Il arrive qu’il se serve de ses armes, le destin. C’est notre grand malheur. Bernard, il avait été frappé un beau matin. Vous pensez tout de suite qu’il est mort. Mais non il ne s’agit pas de cela. Par contre, on ne sait pas ce qu’il est devenu».

«Il venait ici plusieurs fois par semaine. Le matin, il amenait ses minots à l’école et, en suivant, venait prendre un expresso. Il faisait des commentaires sur les nouvelles du jour, la première page du journal étalée sur le comptoir. Le buste appuyé sur ses coudes, il parcourait rapidement les titres derrière ses petites lunettes rectangulaires. C’était un beau gosse, cultivé et intelligent. C’est avec un type de ce genre que j’aurais aimé partager ma vie, se lamentait Joséphine». Le petit groupe du comptoir s’était progressivement immobilisé. Sur un tabouret ou debout, une épaule collée contre le mur, chacun écoutait Joséphine. Son talent était célèbre. Elle attirait les curieux, fidélisait les initiés. Elle faisait des adeptes.

Elle jeta un regard furtif dans ma direction. Je lui fis signe de la tête comme pour lui indiquer que je n’allais pas me sauver. Ce regard paru la conforter.

«Oui, j’aurai souhaité croiser un homme de cette espèce, en faire mon amant, mon ami, mon mari, poursuivit Joséphine. Je lui en voulais presque de venir par ici m’offrir sans retenue son charme magnétique. Je me consolais grâce à la sympathie qu’il me témoignait. J’étais en tout et pour tout sa confidente.

Le matin, à l’heure où il passait, y avait pas grand monde. Alors, on causait un brin. En plus de me faire le résumé des actualités, il ajoutait ses réflexions personnelles. Mais il finissait toujours par parler de ce qui l’intéressait le plus: lui. Il était professeur d’université et, je suppute, un peu mégalomane comme tous les membres de cette profession. Aussi, je soupçonne que la confiance qu’il me témoignait n’était pas gratuite. J’irai même jusqu’à l’accuser d’espérer secrètement être un jour le héros d’un de mes récits. J’en avais déduit que c’était pour cette raison qu’il prenait un soin minutieux à me faire partager son intimité. Malheureusement, pour l’heure son existence ne dépassait pas la sphère de l’ordinaire. J’étais bien aise qu’il m’offrit à labourer son champ privé mais j’avais beau étudié les sillons un par un, je ne voyais pas de fleurs rares. Jugez vous-même: Il vivait dans un appartement qu’il avait acheté profitant des crédits à taux peu élevé que le gouvernement avait lancés à cette époque. Ce domicile, il le partageait avec sa concubine, une italienne qu’il avait rencontrée lors d’un voyage en Toscane. Ils avaient deux enfants, deux garçons qui avaient hérité de la beauté slave de leur mère. Bernard m’avait commenté que la belle-famille était de Trieste et dans ces régions frontalières, les brassages étaient fréquents, ou du moins, ils l’avaient été.

«Un jour cependant, j’eus le loisir de penser qu’un évènement était en train de rider la surface lisse de cette existence.

- Vous avez l’air bien préoccupé aujourd’hui, M’sieur Bernard.

- Joséphine, arrêtez de vous gaver de pages d’horoscope, vous allez finir par vous rendre malade.

- Allons, ne faites pas d’esprit, vous savez bien que je ne lis pas ces foutaises.

- Je vous ai vu les lire, pourquoi vous en cachez-vous? demanda Bernard d’un ton amusé.

- Soit je les lis, répondit Joséphine toujours calme, je les dévore même, si cela peut vous faire plaisir mais je sais aussi me fier à ce que je vois. Le visage, le regard, la démarche en disent long sur les personnes. Et vous, par exemple, vous n’êtes plus le même. Depuis lundi dernier exactement tenez! -Joséphine avait frappé le comptoir du plat de la main- quand vous êtes venu prendre un kir avec votre ami Alfred!

La précision de Joséphine paru déconcerter le pauvre Bernard.

- Oh Joséphine! Vous êtes insupportablement observatrice. Puis il se ressaisit: J’ai un service à vous demander.

- Quoi? Votre ami Alfred, il cherche encore à être couvert?

- Passez-moi le journal s’il vous plait. Non, il n’est pas question d’Alfred. Pourriez-vous vous occuper Marcus et Angelus le week-end qui vient.

Bernard chercha dans les dernières pages la partie réservée à l’horoscope. Avec son doigt il passa en revue les différents signes.

- Comment? Vous faites encore des travaux dans l’appartement!? Jamais vous n’en finirez ma parole!

- Bélier, vous aurez une décision à prendre et vous montrerez à la hauteur: vous ferez preuve de sagesse et de loyauté. Argent: prenez quelques distances avec votre porte-monnaie. Non Joséphine, pour le moment, nous en avons fini avec les travaux. Ce week-end, Petra se rend au congrès des sapins de Noël en Bavière et je voudrais… je voudrais être un peu seul.

Ce jour-là, j’en étais certaine: un truc clochait chez Bernard».

FIN DE L ÉPISODE 2

Sunday, November 20, 2011

CHASSE A L’HOMME - épisode 1/7

Les villes. Pas n’importe lesquelles. Les grandes villes. Personnellement, je vous le dis à vous chère lectrice, cher lecteur, je te le dis à toi qui viens d’ouvrir une page, j’y trouve mon compte. Car matière pour occuper son temps, ça, il y a. Vous conviendrez en effet qu’il est bien légitime de vouloir meubler les heures non assignées à l’activité professionnelle, n’est-ce pas? J’entends se livrer à quelque loisir. J’en connais qui ont des hobbies, des activités manuelles; ils se donnent à l’aquarelle, au modélisme, ils font des poteries en argile. D’autres qui pratiquent un sport, etc. En ce qui me concerne, rien de tout cela. Enfin… il y a quelques années alors que je venais d’obtenir un bon poste dans le service juridique de La Compagnie Du Médicament, j’écrivais. C’était mon passe-temps et même presque une obsession. J’ai même songé à démissionner pour commencer une carrière artistique et tenter de vivre de mes livres par exemple. Et puis, je ne l’ai jamais fait. A trente ans –j’avais à l’époque trente ans, vous l’avez deviné- des idées saugrenues vous traversent l’esprit comme ça mais on a bien vite fait de les abandonner pour continuer sans trop de heurts la confortable existence déjà établie.

Cependant, comme je vous le disais, il faut bien tuer l’ennui les jours libres. Je me mis en quête d’un nouveau passe-temps. Je l’ai trouvé dans la rue. Dans la rue, j’observe. Le tracé des passants, celui des autos, la cohue de l’écosystème urbain. J’arpente les cafés et les brasseries, j’écoute à loisirs les conversations des hommes et des femmes qui se trouvent aux tables voisines. Des fois, je pousse l’audace jusqu’à filer quelqu’un jusqu’à son domicile. Ou alors, au supermarché, j’espionne comment un tel ou une telle remplit son caddie et je m’amuse à déduire son mode de vie. Rapidement, je compris que je n’allais pas me passer du besoin de voyager dans l’intimité de mes pairs. Si je ne le faisais pas par l’imagination à travers les histoires que je composais, je me servirais de la réalité. Cela me paru un bon choix. Et maintenant c’est devenu un vraie habitude.

Et c’est ainsi que je l’ai rencontré. Bien sûr tout de suite vous pensez: un homme! Non, il ne s’agit pas d’un homme mais du bar de Joséphine, un petit troquet situé aux abords du Canal Saint-Martin. Vous vous en doutez, à force de randonner dans les alpages de la ville j’ai fini par en connaître des bars. Et celui-là, rue de la Grange aux Belles, a retenu mon attention. Dans ce bistrot, Joséphine, la patronne, a coutume de livrer à ses clients, en plus de leurs consommations, des histoires… Pas des contes, pas des légendes, pas des fictions mais des histoires bien concrètes chère lectrice, cher lecteur. Joséphine, elle connaît tous les habitants de son quartier et encore mieux ceux qui fréquentent son établissement. Ces gens-là, pour une raison que j’ignore, qu’elle ignore aussi certainement, ils lui confient des morceaux de leurs vies. Mis bout à bout, ça fait des histoires complètes, des trucs bien alléchants.

Je l’ai connu ça fait un bout de temps le bar de Joséphine. Je crois bien que c’était à l’époque où je voulais larguer mon boulot. Elle avait nourri mon envie d’écrire à l’issue de deux ou trois après-midi passées à écouter l’histoire de ce pompiste à l’œil de verre ou de ce banquier qui rêvait de monter un parc d’attraction avec des autruches. C’est qu’à l’époque, je vivais justement à deux pas. Par quelle association d’idées, je me suis souvenue du bar de Joséphine? Ça, vraiment, je pourrais pas vous le dire. Ça faisait une paye que j’allais plus par là-bas, sur les bords du Canal St Martin. Fort de ce constat, j’avais bien envie, de voir si elle y était toujours Joséphine, prêchant derrière son comptoir les messes oecuméniques de son quartier.

Un jour, j’aperçu avec joie la devanture verte. Je remontai la rue en contenant mon allégresse première; le bar pouvait très bien avoir changé de propriétaires malgré son aspect extérieur que j’avais reconnu. Mais quand je poussai avec frénésie l’un des deux battants de la porte-vitrée, je constatai qu’elle était là. Elle me tournait le dos, occupée à actionner les boutons du percolateur. Peu d’éléments avaient changé dans sa silhouette. Quant à sa coiffure, un chignon enroulé sur la nuque, elle était identique à celle que me renvoyait mon souvenir. Elle distribua les cafés aux clients, essora une serviette mouillée au dessus de l’évier et se mit à faire des moulinets horizontaux sur le zinc pour effacer les marques que les verres avaient peintes.

J’avais pris place sur un tabouret à l’extrémité du comptoir. Le mouvement circulaire de son bras que je ne quittai pas des yeux s’arrêta subitement quand il arriva à ma hauteur. Je levai la tête et constatai que Joséphine me regardait curieusement. Chère lectrice, cher lecteur, vous savez un de ces regards insistant qui semble vous envoyer mille questions à la figure.

- Qu’est ce que vous prenez?

Ce fut l’unique interrogation qui sortit de sa bouche et, ma foi, elle était bien naturelle. Lorsqu’elle fût à nouveau affairée à son percolateur, je pris un petit miroir dans mon sac à main et inspectai furtivement mon visage. Ayant vérifié qu’il ne portait aucune bizarrerie -je ne sais pas, une bavure de rouge par exemple- je le refermai et attendis ma commande en inspectant la salle.

Un homme et une femme occupaient une table prés de la fenêtre. Ils parlaient peu. La fille regardait au loin par-dessus l’épaule du type et semblait plus absorbée par ce qui se passait dans la rue que par le discours de son compagnon. Le reste des clients était attroupé autour du comptoir, du côté opposé au mien. Parmi eux, un jeune homme vêtu d’une parka verte et chaussé de patins à roulette consultait une publicité concernant le traitement de la calvitie.

«Vous me rappelez quelqu’un» dit Joséphine en déposant une tasse sous mon nez.

FIN DE L EPISODE 1

Saturday, November 05, 2011

PRELUDE


Notez que les âmes qui nous séduisent nous les femmes ne sont pas souvent affublées d’un corps propice au réveil de notre instinct de bête. Les femmes attachent plus d’importance à la qualité de l’âme, à la répartie et, des fois aussi, disons-le, au compte en banque. L’homme se montre moins exigent du côté de l’âme. Il se dote d’une petite poulette bien roulée, docile et efficace. On appelle ça “les femmes douées en amour”. Et s’il ne la trouve pas sur son continent, le vent du féminisme ayant soufflé par ci par là, alors il ira la chercher en Asie et la ramènera nettoyer la maisonnée dans un pays de G8, sa résidence (Houellebecq et al. 2001). Il ne s’en fait pas trop. Une petite “go” qui fait bien à manger, se laisse caresser quand il faut, n’a pas trop d’avis sur les choses et veille assidûment à son confort, voilà ce que l’homme cherche et trouve.

L’homme cependant ne tire jamais un trait définitif sur la passion; la rencontre spirituelle alliée aux élans de la chair. Encore faut-il qu’il soit chanceux. Il ne la dénichera que s’il a l’œil, s’il sait être aventureux, capable de provoquer le destin, de déjouer les habitudes, de se confronter aux imprévus. A force de ces coups de rame là, il n’est pas fou de voir arriver LA rencontre. Mais cette femme, chérie aux premiers abords, ne fera jamais l’objet d’une bataille. Elle crèvera d’attente et d’espoir dans quelque garçonnière d’une grande ville. Se nourrira de longues phrases murmurées à l’oreille les nuits de retrouvailles clandestines, écrira des kilomètres de lettres qui resteront sans réponse, verra ses tentatives restées vaines. Rompue, elle tournera la page. Ou pas. Car il y a des voyages dont on ne revient jamais.

Peut-être que ce texte est un prélude à une nouvelle que je posterai bientôt. Peut-être. Mais déjà je peux l’affirmer: cette nouvelle ne sera pas de moi.