Monday, October 15, 2012

L’as-tu vu? Loup y es-tu?

               

 Un tableau de Hopper est une fenêtre inversée. On ne regarde pas à travers elle. C’est elle qui dirige sur nous un regard cyclopéen*. Blablabliblablabla.
Dans un de ses tableaux il y a une femme dans un bureau, un immense bureau ou plutôt rendu immense par une large baie vitrée donnant sur la rue. Un bureau. Office. Les rues sont vides. Nous n’avons d’autres choix que de porter notre attention sur cette lady mystérieuse sur le point d’ouvrir une lettre. Une lettre attendue? Une lettre qui va révéler un passé inconnu? Une lettre qui va changer sa vie? Une lettre qu’elle préfèrerait ne jamais lire ou tout simplement la facture de la compagnie d’électricité ou un prospectus pour acheter un canapé à crédit en payant en trois fois sans frais.
                Hopper, un voyeur ils disent. C’est vrai, dans ses toiles composées d’un fragment de réalité, vus depuis l’extérieur on jurerait que les protagonistes n’ont aucune conscience d’être observés. Observateur. Pilleur du privé. Mais n’est-ce pas tout simplement une essence humaine? Regarder là où nous ne devrions pas dans un but que chacun jugera à sa mesure: assouvir notre curiosité. On envisage toujours la vie de nos voisins (dans l’avion, à la maison, dans la queue de la poissonnerie au supermarché) comme lumineuse, radieuse, infiniment plus intéressante que la nôtre. Alors même que celui-là a pleuré cinq minutes avant, alors même que celle-là a foiré un entretien la veille. Voyeur du présent pour retrouver dans la tristesse du prochain celle qui nage au fond de nos propres entrailles en silence. Désespoir devant «cette vie-là est définitivement mieux que la mienne». Désespoir devant «il y aurait donc de la mélancolie derrière cette façade sans faille».
                Le voyeurisme ne nous mène nulle part. Que reste-t-il après avoir ouvert ces pages pour voir s’il s’y trouvait un nouveau post et bien évidemment prendre connaissance de son contenu? On lit, un clic et l’écran se change en autre chose, la page se ferme, on se retourne et quelqu’un nous a vu: tu fais quoi? C’est l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme. C’est l’histoire du voyeur qui regarde le voyeur qui regarde le voyeur qui regarde le voyeur qui regarde.
                L’intelligence du voyeur cependant, celle qui assure sa longévité en tant que voyeur est de veiller à ne jamais éveiller le soupçon. Dans les toiles d’Hopper qui travaille avec une caméra invisible pour peindre des plans fixes de scènes américaines, dans ces cadres finement étudiés on ne saurait en effet jamais y déceler les poils de la perche. L’imaginer pourrait être en outre un sujet pour tourner en dérision toute cette agitation qui se crée lorsqu’une exposition d’envergure se tient au Grand Palais (exposition pour laquelle bien sûr je déploierais mon énergie, mon savoir et vendrais mes bijoux de famille -ils sont peu nombreux- -mais quand même- si jamais on m’empêchait de m’y rendre). Vu ou être vu, that is the question.





* Peter Schjeldahl in Télérama Hors-Série. Octobre 2012

Sunday, October 07, 2012

ROAD TRIP TO KERVOAC




Ceci n’est pas un rêve ni un cauchemar. Encore moins un récit d’antan. Kervoac prononcé Kerouac. Vous y êtes?
J’ai découvert, par hasard - quand j’écris par hasard, je m’arrête, les doigts au dessus du clavier sachant que ça mériterait quand même une petite explication, que tout le monde sait que le hasard fait bien ou mal les choses. Le hasard, c’est un peu le sel du destin que l’on jète à toutes les sauces pour donner du goût mais restons en là pour aujourd’hui. Donc par hasard je découvre que Jack Kerouac était breton. Pas de naissance. D’origine, cela va de soi.
Quand on y pense à deux fois, avec un nom pareil, rien d’étonnant mais encore fallait-il s’y pencher. Ce qu’ont fait les Kerouac d’Amérique pendant plusieurs générations sans faire grande fortune. Même à l’époque où le sieur Jack était allé jusqu’à Brest, en 1965, dans le but de rencontrer dans la personne d’un monsieur nommé Lebris un aïeul en chair et en os, les pistes étaient complètement brouillées. Il y a moins de 10 ans, la lumière a été faite.
L’ancêtre serait un certain Urbain-François Le Bihan de Kerouac ayant émigré au Canada au début du 18ième siècle. Fuyant une sombre affaire de meurs, à son arrivée en terre d’exil il change son nom en Lebris de Kerouac, début de toutes les complications pour qui cherche ses origines. Jack cherchait donc sur les terres bretonnes un Lebris dans son arbre. Il faisait fausse route.
Les Le Bihan ascendants d’Urbain-François étaient des gens du lieu-dit Kervoac à côté de Lanmeur. Alors là, c’est le moment où je sors ma carte du Finistère, toute fraîche, toute neuve, ayant très peu servie au terme de cette année en plaines inconnues et je m’aperçois que c’est à deux pas chez moi. Alors j’ai pris ma bagnole et j’y suis allée.
J’ai pas lu Sur la route à 16 ans comme on l’entend souvent dans les témoignages. Je crois bien, je suis sûre même, que c’est Mic qui me l’a mis entre les mains. J’avais dû le feuilleter voire le lire en entier mais c’est l’édition que je tiens dans la main trouvée sur l’étal d’un bouquiniste à Toulouse qui m’a vraiment saisie quelques années plus tard. Voyez comme les gens «bougent». Le même livre, les mêmes phrases. Un jour elles te laissent indifférent, un autre elles te parlent et tu les écoutes. J’avais déjà parcouru plusieurs milliers de kilomètres avec mon sac à dos, j’avais toujours pris des notes et tenu des carnets lors de ces voyages multiples et variés où je ne cherchais rien d’autre que teinter mes lendemains de destinations nouvelles, attentive aux rencontres et acceptant les coups durs. Quoi de plus normal alors que de remplir sa bibliothèque d’écrivains voyageurs et de trimbaler dans ses valises des romans qui parlent d’expériences similaires à celles que j’ai vécu sur ma route.
A la sortie de Lanmeur, j’aperçois une stèle confirmant l’origine de cette épopée familiale et se tenant à la croisée de trois Kervoac: Creiz, Heulla et Izella. Je n’ai que l’embarras du choix. Un seul cependant solitaire émerge devant une ferme sur le bord de la route. Sur la route là où tout commence. Là où tout fini.