Thursday, June 09, 2022

DANS LA FORET


 

Un jour Mik est revenu de la librairie indépendante avec ce livre «dans la forêt» de Jean Hegland. Je pensais que c’était encore un de ces ouvrages à la mode sur l’intelligence des écosystèmes bactéries-plantes-champignons-insectes. Mais là, j’étais carrément à côté de la plaque.

 

                Un couple avec ses deux filles, Nell et Eva, vit dans une zone reculée à la lisière d’une forêt en Californie du Nord. La ville la plus proche, Redwood, est à 30 km. Au sein de cet écrin naturel, s’est développée une semi-autarcie. Les filles rêvent pourtant de rejoindre un ballet célèbre pour l’une et d’intégrer Harvard pour l’autre. Mais voilà, petit à petit, on ne sait comment, l’essence vient à manquer, l’électricité se fait intermittente. Les ampoules commencent par clignoter puis ne s’allument plus du tout certains jours. Il faut limiter les déplacements en ville où les filles y retrouvent la bande d’ados sur la place publique.

                La mère est atteinte de maladie et succombera doucement. Un malheur n’arrivant jamais seul, le père a un accident de tronçonneuse. La blessure est béante et géante. Il n’y a plus d’hôpital et de toute façon plus moyen de mettre un moteur en route. Alors, il faut accompagner cette agonie lente puis creuser dans l’humus et le sol pour fabriquer la dernière demeure.

                Voilà, il ne leur reste plus que cette maison, la terre, la nature et une grande force faite de résilience, d’instinct de survie mais aussi de lucidité. Une force qui les guidera vers un choix ultime totalement inconcevable si nous, nous nous trouvions dans la même situation. Un choix pourtant d’une évidence folle mais je ne vais pas vous révéler la fin, pas de panique.

                Il paraît qu’à Boston, sur la coté Est, la civilisation est en train de repartir viendra leur dire Eli, le boy-friend de Nell rencontré en ville quelques mois plus tôt. Il est venu à pieds depuis Redwood pour les convaincre de l’accompagner. Mais est-il réaliste de marcher 5000 km sans perspective de ravitaillement et en bivouac intégral? D’ici là, il faudra apprendre les propriétés des plantes indigènes de la région, entreprendre les plantations, préparer les bocaux de fruits et légumes, moudre de la farine de glands et même se mettre à l’affût depuis les branches hautes d’un arbre, la nuit, pour chasser le sanglier histoire de manger de la viande rouge et éviter la carence en B12. Il faudra aussi choisir les livres à garder: Howl ou Beloved? La désobéissance civile ou La physique quantique? Les dialogues de Platon ou L’île au trésor?

Dans l’écriture de ce magnifique roman d’anticipation, il y a ce je-ne-sais-quoi dans le style qui nous transpose directement dans la peau des personnages. Il nous arrive de trembler d’effroi. Cette vie intégrale dans les contrées sauvages n’est pas du tout, du tout, enviable.

                Comme beaucoup de fictions du genre, celle-ci n’a pas été écrite au lendemain du dernier rapport du GIEC mais il y a plusieurs décennies. Certains y verront une prophétie maligne mais c’est pourtant dans une rationalité aigüe qu’il faut chercher l’inspiration de telles histoires. Le système économique tel qu’il est conçu, sur l’illusion d’une croissance et de ressources illimitées, nous entrainera inexorablement dans sa chute.


Friday, November 12, 2021

REQUIEM FOR A LIFE

 L’anthropocène est indissociable de réchauffement, de pollution, de junk food, de monoculture, de robot mixeur-broyeur-laveur-essoreur-sécheur, de machine à faire tourner les cornets de glace, de montres connectées mais aussi de cinéma. Que serait notre vie sans le grand écran, sans le réconfort des salles obscures, sans toutes ces histoires racontées sur pellicule ou empreintes numériques? Une toile sans relief.

C’est par cette porte que se glisse le génie Truffaut dans ce blog. Au début des années 1980, il avait eu vent d’un biopic en préparation par Milos Forman. Son nom Amadeus. Aimé de Dieu. Seulement voilà, il se savait malade, il était faible et cloitré dans ses appartements. Il s’était rendu à l’évidence: il ne pourrait jamais assister à la projection de l’œuvre. Alors, il fit venir Milos en personne et lui demanda de raconter son film. Quel exercice incroyable pour un réalisateur que de devoir raconter sans images un film. Qui plus est à un autre réalisateur. «Tell me, tell me!». Et Milos de raconter son film jusqu’à la dernière parole à un François que la maladie avait condamné. Et Salieri de noter avidement les partitions dictées par Mozart du fond de son lit, pris par les fièvres et la folie créatrice. J’imaginais facilement que l’on pouvait se laisser accompagner par la musique liturgique d’Amadeus avec la même frénésie mi-destructrice mi-vitale dans les heures sombres de l’existence. Qui avais-je en tête?

Un oncle. Un vrai, pas un personnage fictif. Car ici, c’est comme dans le blog de voyage: rien n’est inventé. Tout est réel. Tout a été récuré du fin fond des jours et des nuits de ma modeste destinée. Un jour de septembre, il a perdu sa femme. Pendaison dans la cave. C’était il y a plus de trente ans.

J’ai toujours su que cette tante-là me rappelait Romy Schneider. Son coté mystérieux, sa beauté et surtout la sensation que quelque chose en elle était brisé à tout jamais et que rien absolument rien ne pourrait un jour la guérir. Soit elle acceptait de vivre avec cette douleur palpable, d’origine inconnue à nos yeux mais très connue dans les siens, soit elle en finissait. Elle choisit la deuxième option. L’homme qui partageait sa vie ne s’en est jamais remis. Comment guérir de ces choses? Quelques années plus tard le cœur choral local avait joué la fameuse messe des morts dans plusieurs églises aux quatre coins de l’Occitanie. Et voilà mon oncle abattant 100 km à bord de son Audi rouge tous les soirs de représentation pour ne perdre aucun concert. Peut-être que la disparue réapparaissait le temps d’une soirée au son de l’orchestre et qu’il pouvait s’endormir apaisé. Mais cela suffit-il?

Plus de vingt ans après, il tenta une première fois de la rejoindre. Ce fût au volant de la même Audi, depuis les falaises de l’arrière-pays niçois. C’était un soir d’attentat. Les urgences étaient débordées. Affairées après les victimes du camion qui avait foncé sur la foule, avaient-elles compris qu’il s’agissait d’une tentative de suicide?

      

A peine libéré du service, il remit le couvert avec une corde dans le cabanon du jardin de la maison familiale. On n’aime pas être celui qui ouvre la porte 24 heures après car il faut bien se rendre à l’évidence quelqu’un manque à l’appel. Et cette écharpe rouge sur la poignée de la porte que l’on aperçoit? Il y a toujours quelqu’un qui s’y colle. C’est comme ça. Il y a toujours des puits de douleur creusé au sein même de la famille. La famille ne serait-elle pas les lieux incontournables pour ces puits?

Au fond de ces puits surnagent les corps de ces âmes que personne n’a su aidé, de ses âmes abimées par la pédophilie ou la violence. Et un soir de requiem, ces morts remontent à la surface pour vous raconter leur histoire, des fois que vous n’auriez pas tout compris, des fois que votre oreille restée sourde jusque-là veuille bien enfin s’ouvrir. Parce qu’ils sont morts, on se croit seul. Mais ils sont ici, autour. Ils viennent nous hanter. On dirait même qu’ils se glissent au bout de nos doigts.

Friday, June 11, 2021

Transition sans transition

 

Alors voilà. Un polichinelle dans le tiroir et ce lieu ressemble à un décor de western avant la bagarre. Déserté. Seules quelques balles de buissons épineux roulent dans la poussière. Abandonnées, les maisons soutiennent péniblement leurs panneaux de bois vermoulus. Plus une seule âme qui vive. Un blog fantôme.

Avec en prime cette désagréable sensation que la musculature en a profité pour se faire la malle. Parce que la phrase, c’est comme le corps, si on n’entretient pas, ça devient tout flasque. Allez, un coup de pédale, des feuilles de papier blanc recyclées et c’est reparti. Les attestations de déplacement représentent en somme de très belles feuilles de brouillon. Faut reconnaître que même si au début le tas était soigneusement calé sur le meuble près de la porte d’entrée, elles ont rapidement pris le rôle de vieil objet de déco que plus personne ne considère. Elles nous aurons au moins rapprochés un temps d’Aung San Suu Kyi. Assignés à résidence. Pas pour la même durée et encore moins pour un engagement politique. Si seulement.

Un enfant, check. Un livre, check. Un arbre, check*. La trilogie de l’accomplissement est passée par là. Et la fin justifie les moyens.

L’enfant, je ne l’ai pas fait. Enfin, si. Enfin, non. Enfin, si quand même. Cela valait bien un récit illustré par ma talentueuse Emma.

Passé un certain âge, les mômes, on les fait plus naturellement. Et même si on s’acharne sur la sacro-sainte Nature, les éprouvettes finissent par arriver à la rescousse dans leurs cliquetis joyeux et sournois.

Le livre, en fait, ce n’est pas moi qui l’ai écrit. Enfin si. Enfin non. Enfin, une partie quand même. J’ai aussi joué le grand chef d’orchestre. Qui l’eut cru, moi qui ne sais pas différencier le do du mi ni le mi du la.

L’arbre, c’est plutôt une bouture de bégonia bambou qui a pris ses quartiers dans la sous-pente du dressing.

Bref, tout cela ressemble bien à de la pacotille mais permet de se faire une place dans la société du check, du like, du post, du tweet et du follow. J’ai rien vu venir et pourtant, nous y voilà. Prisonniers, prisonnières de la représentation perpétuelle, de l’étalage du quotidien, accros à quelques centimètres carrés numériques. C’est que l’écriture a toujours été une nécessité. Et un hasard. Et même si on ne possède pas un atelier en annexe d’une villa dans les Hampton, on trouve toujours un endroit où gratter la bille (ou plutôt tapoté le clavier).

Polichinelle a grandi à l’inverse des plages de temps libre dans ma vie. Il faudra quand même se faufiler dans ces trous de souris.

Il y a eu cette grande fourmilière qui a occupé mon esprit pendant plusieurs mois et qui continue de lui donner bien des soucis au point de rendre mes conversations monothématiques. Ce tas d’insectes grouillant n’est pas si proche qu’on voulait bien nous le faire croire. Et moi aussi j’ai vu du rouge là où se pavanait le noir.

J’ai bien d’autres sujets qui me démangent; heureusement et malheureusement. Des passions littéraires, des cauchemars enfouis, des histoires à dormir debout, des drames familiaux et puis ma bedfellow recount. C’est quoi ce dernier truc? Ben vous voyez Andie MacDowell dans 4 mariages et un enterrement? La scène où elle n’a plus de secret pour Hugh Grant. Pareil. Je me suis livrée à cet exercice-là. Ça ne résout rien et on s’y perd. «J’m’en fou du bonheur, j’préfère la vie» disait Emile Ajar, Romain Gary masqué quoi. On peut dire que oui.

Mais aussi, rien de tel qu’un nettoyage du foie pour dérouiller le cerveau. Quoi? Le foie? Oui. Une méthode naturelle pour «pondre» les calculs biliaires. Et on se sent plus léger, les idées plus claires. Mais ça, c’est une autre histoire. Il eut été plus logique d’arguer que le dernier roman de Martin Amis, Inside Story, a été le vrai vecteur déclencheur pour me remettre à ce blog. L’autofiction, quel régal quand même. Mais non, je préfère débarquer avec mon habit de sorcière, un balai et un grimoire de compet’.

Welcome back ladies and gentlemen.

 

 

*"Pour réussir sa vie, un homme doit faire un enfant, écrire un livre et planter un arbre". Compay Segundo