Wednesday, February 24, 2016

TREPALIUM: NOS TRIPES A L'AIR



Quand on force le trait, l’objet devient plus visible. C’est bien connu. Le regard ne devient-il pas plus intense surligné par le dessin du khôl? Le genre anticipation semble induire les mêmes effets lorsqu’il s’applique à une série dépeignant notre société occidentale embourbée dans les sables mouvants de la technologie, de la compétition et dans la vénération de la salade de chèvre chaud et du tournedos à la sauce roquefort.

Cette série, elle porte un nom qui plante d’emblée le décor: trepalium. Prend ses racines dans le mot latin «torture» nous dit Robinson, l’instit. rescapé du clash social ayant eu lieu trente ans plus tôt. Et nous y sommes, au cœur d’une civilisation ayant bondi dans le futur. Ce saut dans le temps a scindé la société en deux: les actifs et les zonards. Les travaillants et les sans travail dit autrement. Un mur type RDA/RFA les séparent, gardé par des tortues ninja un peu moins bossues mais la carapace lustrée et le fusil clinquant, prêt à l’emploi cela va de soit. Les uns sont propres, déambulant dans une esthétique mi-bienvenu à gattaca soit le style année 50 de la côté ouest des États-Unis, mi-orwellienne extraite de 1984. On ne les voit que très peu interagir socialement, le sexe se pratique dans une tour dessinée pour la circonstance, dans des salons éclairés aux néons et meublés de canapés feutrés. La cellule familiale n’est qu’une vitrine où le couple se forme par intérêt et les enfants sont conçus dans l’unique promesse de les obtenir aussi performants que possibles. Les autres sont sales, vêtus de nippes tricotées, assemblées en un patchwork suintant le désœuvrement, désespérés d’être enfermés dans cette périphérie où plus rien ne brille. Néanmoins ils cultivent l’entre aide et le dialogue, les actes gratuit et les sentiments, une poignée de phénomènes qui semble avoir déserté la ville, de l’autre coté du mur.

Dans un monde l’espace public est perdu, les habitants vivent à l’intérieur de leurs appartements minimalistes ou affairés dans leurs holdings, les enfants ne vont plus à l’école et se côtoient non plus pour jouer mais pour s’affronter dans des joutes verbales. Le multimédia a envahit toutes les surfaces planes; télés incrustées sur les baies vitrées, tablettes marquetées dans la table du salon, vidéophones introduits dans le tableau de bord des bagnoles vintages. L’information, changeante, diarrhéique, sans analyse, mais accessible à tous, sourd de ces tentures digitales omniprésentes dont la source est contrôlée par les grands ministères. Un état soucieux de lisser son image devant sa populace, de servir les intérêts des grandes multinationales puisqu’elles garantissent l’emploi, l’or nouveau de cette civilisation coupée de ses racines.

Les pilules donnent l’espoir d’une performance améliorée mais les médicaments échouent dans la promesse de guérison. Angoisse. Perdre son job à cause d’une maladie signifie invariablement un atterrissage forcée dans la zone. La maladie dégénérative guette, le taux de chômage a atteint son acmé et le tupperware ne fait plus l’objet des réunions conviviales où s’échangeait la recette du pudding à l’ananas. Il n’y a plus de vert, de feuilles, de paysages naturels, de matière organique hors mis cet Homo sapiens survivant d’on ne sait quelle fission de l’évolution l’ayant ségrégué du reste du monde vivant.

L’eau n’est plus potable. C’est une multinationale qui assume son retour à la pureté (ce qu’elle dit…). Traduisez: ce qui était présent naturellement dans les nappes nécessite aujourd’hui un traitement infiniment complexe pour retrouver sa valeur fondamentale nécessaire aux êtres dotés d’ADN, c’est à dire nous, le mille-patte, le bonsaï-ficus ou le rhinocéros laineux. Cette oligopole est le théâtre de l’intrigue où les postes de pouvoir sont convoités comme les lions convoitent une antilope à terre, où les performances sont contrôlées en temps réel, et les pauses déjeuner minutées à la manière de la cuisson de l’œuf coque. Dans la zone, inutile d’imaginer que l’eau potable n’est qu’une denrée rare dont le manque est comblé par la vente au marché noir d’une drogue magique qui permet de neutraliser la soif.

Mais surprise. Suite à la libération d’un haut fonctionnaire, la première ministre (car attention on féminise les titres, summum de l’anticipation) annonce qu’elles va créer 10000 emplois pour que les zonards puissent se payer eux aussi les faveurs de la ville. Mais la sélection va être rude et l’ensemble des candidats à ces postes de «solidaires» devra se frotter aux tortues ninja qui pilotent l’opération comme s’ils avaient une armée de chien enragés à contrôler. Cela nous paraît d’une outrance sans nom mais n’est-ce pas plus tard que la semaine passée que j’ai vu cette vidéo d’une militante de 74 ans se faisant plaquée au sol par 4 CRS pour avoir déplacé une barrière? J’ai rêvé, n’est-ce pas? Sous couvert de l’ordre publique, ces individus seraient capables de retourner les coudes et les poignées d’une personne (notre amie? notre mère? notre grand-mère?) déjà jugulée par la main poilue d’un super-policier. Non, allons donc j’exagère toujours!

Dans la zone, la résistance s’organise en cachette des autres zonards. On les nomme activistes. Ils sont pas forcément bien vus par leurs confrères et consœurs zonard-e-s puisque ces derniers rêvent parfois de rejoindre les rangs de la ville, de pouvoir s’offrir des costumes sur mesure et des parfums de luxe. Les activistes ont piraté les réseaux, séquestré des dirigeants, placé des espions et organisé une société parallèle. A ce stade de la série, un chapelé de mot atterrissent sur la bouche de mon voisin qui regarde comme moi en replay et à ses heures perdue la série: OTRO MUNDO ES POSSIBLE. Pour ma part, j’écarquille les yeux devant l’évidence: TREPALIUM n’est rien d’autre que l’éviscération de notre société moderne, le spectacle d’une chirurgie délicate et didactique destiné à nous montrer son fonctionnement de l’intérieur. Et j’ai beau me creuser la cervelle, mobiliser toute la bonne volonté qui m’habite, ladite anticipation de cette série ne dépasse pas le stade du fantasme.