Monday, April 09, 2012

Dérive sur plateforme

Dérive sur le roman «Plateforme» de Michel Houellebecq

Houellebecq me surprend et me surprendra toujours. Dans le train, je termine Plateforme, un roman rédigé sous la forme autobiographique. Commence à la mort de son père. Se termine par «l’entrevue» de sa propre mort. A la fin du livre, bien sûr je vous le dis tout de suite, l’auteur n’est pas mort mais semble quand même s’attrister; «On m’oubliera. On m’oubliera vite». Ça colle pas trop avec le personnage que l’on connaît, indifférent à tout, y compris sa propre vie. L’écriture est avant tout vanité nous dit Xingjian. Houellebecq n’échappera donc pas à la règle. Découverte n°1.

Dès les particules, Houellebecq m’est apparu plus comme un sociologue qu’un écrivain. D’autres n’y ont vu que du feu, du sexe, de l’opprobre et m’ont mis en garde: «ah tu verras ce livre-là, j’ai pas pu aller jusqu’à la fin». Moi si. C’est comme si les crochets, sexe, feu, drame, sang, saloperie posés ça et là sur la paroi du roman n’avaient en rien gêné ma progression. Préoccupée j’étais par ce qui se tramait en dessous. En dessous des lignes. Ses théories sur la sexualité, celle qui s’applique à la version occidentale de l’espèce humaine, sont cruelles de vérité. Mode de vie aseptisé et réglementé, bestialité étourdie, endormie, parfois anesthésiée à jamais. Perte de l’instinct voire. La dessus vient se greffer la monogamie, pur héritage judéo-chrétien que même les partenaires les plus profondément païens ne peuvent extraire du testament qu’ils ont reçu. Qui oserait une rature, une rayure sur ce beau document parcheminé de promesses reluisantes sur l’avenir du couple? Qui oserait un gribouillis manifestant notre refus d’une condamnation au partenaire unique? Facile à dire. Je m’en suis rendu compte quand je me suis trouvée face au problème. Oui, d’accord j’étais d’accord mais finalement devant les faits c’est devenu différent. J’argumentais à en perdre la mine, je citais, je référais tant et plus que le Don Juan en question m’accusait de plagiat «ça, tu l’auras copié de quelques livres…» à la fin de sa lecture. J’étais peut-être trompée mais j’épinglais ce beau compliment telle une cocarde sur mon blouson. Bataille perdue.

Vous l’avez compris, pour accepter une chose qui était jusque là condamnable - pour ceux qui auraient perdu le fil nous y sommes toujours, oui au chapitre de l’infidélité - il faut qu’elle soit pratiquée à égalité par les deux partenaires. Et ça c’est risqué car les hommes s’y prêteront plus volontiers que les femmes. Pourquoi? Je ne sais quel soubassement culturel universel, quelque condamnation hormonale, quelque loi de la nature divine, quelque désir de foyer et d’enfanter qui n’existe ni chez le mâle ni chez sa descendance portant le Y. Nous voilà bien. Ce n’est pas une découverte.

Problème quasi insoluble. Le temps. Souvent je dis ça quand je sais la chose vaine. Le temps vaincra, cette situation inextricable, ce sac de nœuds, cet atavisme rampant. Car le temps transforme. Il veut bien si la volonté est de la partie. Pour revenir à Houellebecq son analyse tient le coup. A cela, il ajoute un autre facteur qui vient aggraver l’état de l’instinct de cette version occidentale de l’espèce donc: le changement des rapports homme / femme. Dans une monde bipolaire, le pôle qui domine l’autre est bien aise et, cela va de soi, se trouve bien dépourvu quand subitement le pôle faible acquiert de la puissance. Une situation bien confortable la domination au final. Souvent notre seule erreur est de perpétuer les privilèges qui nous sont octroyés. Les mâles seraient donc déstabilisés par l’ascension sociale des femmes. Ils voudraient bien revenir à des amantes simples et douces dont la perspective d’un foyer familial stable et bien entretenu était la clé de leur bonheur. Trop compliquées les femmes du même espace géographique et culturel? Ils s’en vont chercher ailleurs, là où les mœurs ne courent pas si vite. Houellebecq a compris: le tourisme sexuel c’est une solution pour les hommes seuls. Cadres de préférence. Riche ou non. Une seul voyage en avion pourrait voir s’écraser cet ennui sentimental qui perdure au fin fond des bureaux et des salles VIP. Projection dans ces portraits d’hommes occidentaux? Qu’importe. Enfin non. C’est plus fort que moi. Je me demande toujours comment a travaillé un auteur pour écrire un roman. Est-il allé sur place pour expérimenter ou s’est-il contenté de la documentation? Mes questions restent en suspens. Pas de découverte.

Son analyse de l’homme occidental n’est pas fausse donc. Il nous l’expose, l’explose? Il aurait pu tout aussi bien prendre le contre pied; si les mâles vivent trop mal cette rupture du mode relationnel homme-femme traditionnel, ils n’ont qu’à faire preuve d’adaptation. Evolution face aux changements plutôt que jouer les enfants boudeurs. Mais non, il n’en est pas ainsi. Il va même jusqu’à analyser les prostituées thaï. Ils les présentent comme libres, plutôt détachées. Ce qu’elles ressentent réellement reste à vérifier. Beaucoup sont éduquées selon un mode traditionnel. L’argent qu’elles touchent doit certes constituer une forte compensation mais gagner sa vie de cette manière ne doit pas toujours être une partie de plaisir. Si les hommes fuient, se pose le problème suivant: qu’ont à se mettre ces femmes restantes sous la dent. Peut être que la consommation de l’instinct par les femmes fera l’objet d’un autre livre? Découverte.

Si l’on résume, Houellebecq sort son feutre rouge et souligne: la société occidentale traverse une crise qui touche les deux genres. Une première révolution a vu le jour dans les années 70. On sais pas très bien si on en est venu à bout où si l’on est tout simplement revenu dans une mode bourgeois, monogame et tranquille. Un mode qui au final ne nous convient pas. Houellebecq se questionne sur une seconde révolution. Et là, petit intermède. Diling Diling. Un tintement de clochette et l’image se fait vaporeuse, presque opaque, grise, blanche et noire, le souvenir se forme. C’est Pauline à Paris qui a pointé son index sur MH et m’avait entraîné sur le débat. Pauline, une amie de l’école de ciné. Elle vivait à deux pas de la rue de Cîteaux dans une chambre cosy sous les toits. Voisines pour ainsi dire, nos rencontres fortuites nous conduisaient devant un plat de pâtes chez elle assises sur le canapé face à des poutres-étagères croulant sous les livres qui me fascinaient. Pas de confusion, ce qui me fascinait c’était tout autant la force, la robustesse des poutres supportant le poids de tous ces volumes y compris des encyclopédies (à l’époque la toile était encore en train de se tisser) que la quantité d’ouvrages présents dans un si petit espace. Elle me parlait de Houellebecq, m’expliquer pourquoi «extension du domaine de la lutte». Quelle lutte? Celle qui aboutira à la deuxième révolution. Tu comprends maintenant? C’était en 1997-1998. Diling diling. Fin du souvenir.

Avec ce roman, «Plateforme», on dirait qu’il n’a pas encore trouvé la solution. Le même thème y est illustré, bien documenté, parfaitement réaliste au moins pour certains personnages. Chose nouvelle tout de même; il essaye de nous parler d’amour. Au début du roman, le personnage principal, soit l’auteur, est complètement désabusé face à ses relations avec les femmes. Finalement il en rencontre une qui lui convient, ce qui peut arriver certes. Alors il reprend un peu goût à la vie mais en somme on s’en fou. Ce que l’on a du mal à croire c’est que cette nana qui n’a, pour le moins dans le roman, aucun défaut, arrive à s’intéresser à lui. Il y a peut-être l’aspect physique. On ne sait pas. Il finit par s’installer avec elle parce que «ça colle». Et pourquoi ça? Parce qu’elle a le don du don. Quoi? Elle est capable de donner gratuitement, et ça, ça le séduit définitivement. Il restera avec elle. J’ajouterais là un commentaire personnel. Ce qui est incroyable chez les gens qui parlent du don avec emphase, c’est qu’ils sont capables de l’identifier sur autrui mais pas foutus de se l’appliquer à eux-mêmes. Ils approuvent, se fascinent, ont de l’estime pour ceux qui donnent mais n’ont jamais analysé leur capacité à donner et cela leur paraît normal. Voilà.

L’auteur est bien aise d’avoir trouvé cette femme qui finalement mène la danse. Tant mieux. Il n’y a pas de problèmes économiques dans leur couple. Milieu des cadres. Voyage, porte jarretelle, couple fois deux, échanges modernes, etc, etc, etc... Vers la fin du livre, il la fait mourir dans un attentat. Mince, je vous l’ai dit. Si vous comptiez lire le livre c’est foutu. Qu’il le veuille ou non, l’auteur (et quand on sait de quel auteur il s’agit, on écarquille les yeux) atteint le romanesque. Un romanesque moderne. L’auteur perd sa bien aimée. Plusieurs mois de psychiatrie, plusieurs mois prostré. Il fini par s’isoler pour écrire un livre. Si c’est pas romanesque ça. Il s’isole à Pattaya. Je n’ai pas connu Pattaya. J’ai eu envie d’y aller. C’était pas sur ma route mais c’était pas la raison. La vraie raison c’est que la faune n’était pas la mienne. Et alors? Curiosité manqué. Ville de merde. Attention pas merde au sens péjoratif. Un sens nouveau. Un sens qui intrigue. Tiens, ce lieu n’est nulle part sur les cartes. Allons-y! Ou: tiens, ce lieu, personne n’y va, allons-y!

Vivre dans les endroits de merde, ça pourrait devenir à la mode. Je me questionne forcément. Une ville de merde c’est bien. Une ville où il n’y a pas d’animation dans les rues le soir. Un peu toutes les villes de France sont comme ça, non? A découvrir.

Sunday, April 01, 2012

Analyse du cosmétique

Analyse du Roman «cosmétique de l’ennemi» d'Amélie Nothomb

Dans une salle d’embarquement s’engage un dialogue forcé entre deux personnages. Leurs patronymes sont disgracieux mais l’étymologie est étudiée. Il s’agit d’un discours sur l’ennemi intérieur, d’une allégorie du diable. L’existence de ce mal en soi, symbolisé par le diable nous accule à ne plus croire en Dieu. Le diable se manifeste par le désir soudain d’ingérer de la bouffe pour chat à pleine poignée et d’en éprouver une répugnante satisfaction. Cet ennemi est aussi extérieur, l’autrui qui dérange.

La prise de conscience de cet ennemi rend mauvais. La résultante en est un désir de pourrissement de la vie des autres. D’autant plus qu’ils sont déjà malades. Les rendre encore plus malades pour leur apporter la guérison.

Comment l’ennemi T, sait que J, la victime est malade? T laisse penser qu’il connaît le passé de J. S’en suit une scène de lutte pour ne point écouter les monologues de l’ennemi. Torturée, la victime se bouche fortement les oreilles. Douleur insupportable, la victime est obligée de céder. L’ennemi expose sa stratégie: détériorer la vie d’autrui de manière légale, en le saoulant de paroles. L’ennemi raconte sa vie: l’irrévocable auto-culpabilité.

Enchaînement sur l’amour. Classique, l’ennemi a aimé une femme au premier coup d’œil mais ayant un physique disgracieux, il savait d’emblée que la conquête était impossible. Trouvant cela injuste, il la possède par le mal. On dénote ici une analyse psychologique de l’ennemi. C’est dans le manque d’amour que se trouve la genèse de la cruauté chez l’individu.

La femme que cet ennemi a convoité puis tué n’était autre que celle de la victime. La victime le devine elle-même. Rebondissement. En même temps la victime J comprend qu’elle n’a pas été choisie au hasard. Le motif de l’ennemi se fait plus précis: il veut être tué par sa victime. Cette dernière s’oppose évidemment à un tel dénouement.

Cette situation nous pose inévitablement devant le débat suivant: pourquoi refuse-t-on de rendre justice à la personne que l’on a aimé. Lâcheté? Morale? Penser qu’un autre recours est possible? Est-on sûr d’avoir l’assassin en face de soi?… La victime en vient à demander les preuves du crime. La situation se retourne, les rôles s’inversent. L’ennemi et la victime se révèlent n’être qu’un seul et même personnage qui finit par mourir dans un acte de folie sanglant.

Sous la forme d’un dialogue entre un ennemi et sa victime, dans le huis clos d’une salle d’embarquement où les passagers attendent un vol désespérément retardé, Amélie Nothomb explore une universelle question: la partie abjecte de soi et la relation que l’on entretient avec elle. A l’orée du roman ils sont deux personnages qui termineront fusionnés dans un seul et même être au terme d’une résistance féroce. Sa conclusion dépasse ce que nous voulons entendre, l’ennemi le plus radical qui nous poursuit n’est autre que nous même. Ce roman n’est autre que la démonstration sans équivoque de cet axiome déconcertant: nous couvons notre propre ennemi.