Friday, August 20, 2010

DESSINéS PAR BAUDOIN

Il est 16h30. Villars-sur-Var. N’y voyez nullement une accumulation de var. Ni de bavards. Et pourtant… La rando se termine et, sous les platanes, assis sur le petit banc en arc de cercle, nous discourons sur les relations pas légales. Pourquoi pas légales? Demande Fariba. Je suis bien embêtée. C’est vrai, je n’ai pas utilisé le bon mot. Nous levons le camp, cap sur la voiture garée au bout de l’avenue. Sur un banc en bois cette fois, face à la vallée, un homme dessine. Laurent s’approche: «a-t-il plus de talent que Fariba?». -Note de la rédactrice de ce blog: Fariba aussi a emporté dans ces poches un carnet de feuilles blanches à couverture épaisse. Fariba et le dessin c’est une longue histoire mais pas pour aujourd’hui-. Le monsieur sur le banc se retourne vers Laurent «y’a deux r à courir?». Et ce dernier de nous interpeller pour nous renvoyer la question. Je suis étonnée. Il sèche notre Laurent-je-sais-tout! Pas croyable! Je m’avance prés du banc: «évidemment deux r». Spontanément et sans prendre peur à l’attroupement autour de lui, l’inconnu nous montre sa page en cours, décrit la brume près de la chapelle St Jean ce matin à 8 heures. «C’est très difficile de retranscrire» dit-il. Des volutes sont dessinés au pinceau, des branchages aussi. Il est assis, je suis debout. J’aime photographié les personnes en plongée. Je sors l’appareil et le place au dessus de sa tête comme une lampe. Fariba est curieuse, elle voudrait forcer avec sa main les mystères du cahier, un vrai cahier de moleskine comme on n’en voit jamais dans les films. Il hésite, renonce, puis oui. Laurent prend place sur le muret en face du banc. L’inconnu déploie une page blanche. «Lui par exemple, c’est comme ça….» . Les aplats du pinceau laissent bientôt apparaître les cheveux, la tignasse plutôt. En même temps qu’il dessine, on joue aux devinettes. «L’intensité du regard est importante». Le portraitiste doit la percevoir, la capter. A force de s’y plonger il y découvre alors la vie du sujet. «Alors???». On est curieuse, les enfants s’emmerdent un peu –entre les adultes et les enfants, il y a souvent un décalage immense- Laurent est au poste de modèle. On risque pas de partir tout de suite…
Le dessin achevé, notre dessinateur le plie sur le bord et le découpe: «vous pourrez le vendre». En moi-même je pense quel prétentieux tout de même, il se prend pas pour n’importe qui! Mais j’esquive. «Alors? votre chérie qui pose pour vous dans vos cahiers, elle est pas avec vous?» Il me regarde, songeur. «Non, elle est avec son mari». On rigole. Une relation pas légale. Les femmes, selon lui, se redécouvrent une vie à quarante ans. Elles ont eu des enfants, ont fait un bout de leur vie professionnelle et puis tombent dans l’évidence: elles s’emmerdent avec leur maris. C’est l’occasion de redémarrer. Ca a l’air d’inspirer notre ami. En tout cas, il semble y trouver son compte. Pendant que nous bavardons, Fariba est passée aux commandes; cette fois, elle a pris le carnet de monsieur-sur-le-banc. Le dessin est vraiment réussi. Juste quelques traits mais ils rendent compte habilement du visage de notre inconnu. Elle signe.
- Au fait, votre nom, à vous?
- Edmond. Mais je signe Baudoin.
C’est l’émotion. Je ris. C’est reparti pour un tour. Et la religion? Jamais. Je l’ai su depuis tout petit. Mais monsieur est tout de même un peu mystique, un peu sorcier, un peu devin. En coulant le portrait de Laurent quelques minutes auparavant, il nous lâche tout bonnement «mathématicien». On est un peu sur le cul. Il se justifie. «Oh! avec une tête pareille, on est soit artiste, soit on fait des maths!». Est-il déçu d’avoir des scientifiques en face et non des artistes? En tout cas, la conversation lui plaît et les thèmes sont passés en revue comme une mélancolie soulevée dans mon regard pendant l’exercice précédent du portrait. Pas la mélancolie mais une mélancolie laissant entendre qu’il en existe plusieurs. Mais j’évoque la chance. C’est pas pour dire mais il en faut. Des fois on dit pas non. Je suis plus sûre mais peut-être que je dis ça en regardant mon portrait, un portrait signé par l’illustre illustrateur et scénariste de BD. Soigneusement Fariba le rangera dans le carnet lorsque nous prendrons congés. Je vous ai pas trop fait perdre votre temps? Et nous, le votre peut-être?

Après ces politesses nous partons dans des directions opposées. Si le mystère du pourquoi des rencontres persiste celui du pourquoi le talent et l’inspiration nous apparaît à cette heure illuminé d’une profonde clarté.

Monday, August 16, 2010

Flash back (3)

Alicante, 15 août 2007

Madrugada. Ces jours-ci, la Terre passe dans le sillage d’une comète. Une pluie d’étoiles est visible au nord-est. Tu as téléphoné à Marie pendant une heure et trente minutes en bas dans la rue. En tirant sur tes clopes tu l’écoutais te raconter ces théories sur les chiffres, son séjour à Noirmoutier, la pluie sur l’île, le froid du mois d’août, là-bas, le vélo-canne d’Alix. Vous parlez comme deux sœurs. Tu as oublié le nombre d’année qui vous unis comme amies. Qu’importe, il n’est plus nécessaire de l’évoquer. Tu avais loué un film et as dû l’interrompre pour descendre dans la rue passer le coup de
fil. Il était tard.
Les mois d’été s’étirent. Tu dois écrire un nouveau projet mais rien ne vient. Panne sèche. Tes idées sont taries. Tu tournes en rond, fumes dans la journée. Beaucoup. Passes des disques. Quand tu passes ces disques ou écoutes des morceaux de musique à la radio, tu es cinquante ans plus tard. Car tu sais que ces souvenirs, tu ne les auras pas oubliés dans des dizaines d’années. Peut-être te paraîtront-ils plus petits mais ils auront la même intensité. Ils te rendront la sensation que quelque chose s’est passé. Pas rien. Quelque chose d’important. Maintenant tu penses que tu peux t’approcher de la porte, passer un dernier coup d’œil sur ce qui se déploie derrière et puis la fermer doucement, sans regret, sans douleur. Tu as regardé ta montre que tu n’as pas, le soleil et puis tu as dit oui, c’est le moment. Je l’ai attendu. Bien sûr il y a la peine. Avec l’écriture tu arriveras à l’atténuer un peu. Tu ne veux pas aller dormir ni t’alimenter. Tu voudrais écrire toute la nuit. T’écrire à toi-même. Tu as laissé la bande sonore du DVD tourner dans l’ordinateur. Tes voisins vont devenir complètement fous à force d’entendre en boucle le même morceau de musique. Mais en Espagne, les voisins ne deviennent jamais fous. Tu deviens
fou avant eux. Et cette répétition sonore t’aide. Tu as accroché tes cheveux à l’aide d’une barrette. Les documents sont empilés sur la table. A côté, ta carte d’accès à l’institut, les clés de l’appartement, un dépliant comportant les horaires du tranvia, la boîte à lunettes que tu ne mets plus, des disquettes, le téléphone portable. Cette nuit tu as rêvé que la voisine d’en face enjambait la rue, passait de son balcon au tien pour te demander du sel. Du sel? Oui du sel. Ta voisine t’a demandé du sel puis elle est repartie chez elle comme un chat volant.Marie a lu les textes sur ton blog et dit qu’elle ne comprenait rien. Tu as ri à gorge déployée. Ensuite elle t’a parlé d’un livre d’un auteur espagnol qu’elle avait lu récemment et qui l’avait fasciné: «L’ombre du vent». Un grand best-seller dont tu as entendu les éloges à maintes reprises. Hier, dans la nuit, tu as achevé «Le livre d’un homme seul» de Gao Xingjian. Il termine ses pages sur Barcelone où l’ont emmené des amis du club littéraire de Perpignan. C’est curieux, ce livre qui parle de la Chine pendant la révolution culturelle se termine sur l’Espagne. Tu penses à Hemingway et le jour se lève aussi. Cette fascination pour l’Espagne. A la fin de son roman, la femme qu’il aime lui demande de venir la rejoindre à Madrid où elle était partie avec un torero rencontré aux fêtes de Pampelune. Il prend le premier train pour aller la consoler. La romance est partie en vrille. Il fallait bien quelqu’un pour la consoler. Consoler l’être aimé parti avec un autre. En ces terres arides, tu as souvent pensé à celui qui pourrait être l’homologue de cette femme du roman. Tu as traversé des déserts. Tu as aussi pensé à tous les paysages qui t’attendent. Tu as éteint la musique maintenant. La nuit est calme. Le quinze août ça sent toujours le vide, les gens partis, absents, les maisons inoccupées. Un désert rempli de mirages. Il n’est plus qu’un mirage. Tu ne l’as pas photographié. Tant pis.
Des fois tu penses à la maladie. Pas à la mort, à la maladie. Le corps qui défaille. Pourquoi? Le corps qui dit zut. La vie et les expériences passent sur le corps. Tu ne veux pas être en colère. C’est une lutte acharnée. Tu la fou dehors. La porte n’était-elle donc pas fermée? Mais elle revient sans cesse. Tu es en colère quand la colère revient. Cercle vicieux. Tu fermes les yeux et mentalement dessine un cercle autour de toi. Dans ce périmètre tu lui interdis d’entrer. Et tu répètes cette construction mentale afin qu’elle s’incruste dans les replis du cerveau. Et puis il y a tout le reste. La «vastitude» - Cécile aurait aimé ce mot. Ampleur. Le monde, l’inconnu aussi, loin, là-bas. Tu pars de toi et lances des projections tout autour, des bras invisibles longs de plusieurs kilomètres atteignent l’inconnu et le connu et te font sentir le monde. Mais le monde, il ne bouge plus.

Saturday, August 14, 2010

Flash back (2)

Madrid, décembre 2001


Dans le marché de Cebada, je mate les devantures des vendeurs de poissons et de viandes. Je glisse dans les allées de cette halle froide tapissée de fientes de pigeons, recouverte d'un dôme en plastique jaune écaillé. L’intérieur est comme une immense chambre froide de boucher. On côtoie les cochons de lait tout lisses posés sur le flanc, parfois entiers, parfois coupés en deux dans le sens de la longueur. Ça fait une belle leçon d'anatomie. On côtoie aussi les langues de bœufs, les foies de génisse, les tronçons de moelle, les têtes de poulet, les calamars gélatineux, les merlans opulents que des types vident avec dextérité devant les yeux des clients. En un tour de main, le ventre est fendu de la queue jusqu’à la tête, les entrailles sont vidées, les mâchoires écartées pour enfourner la main et retirer encore des viscères, la colonne vertébrale décollée pour libérer les filets blancs, baveux, la peau rabotée pour faire voler les écailles. Quand c’est fini, le poissonnier roule l'œuvre dans une feuille de papier puis la balance sur le plateau de pesée avant de le remettre à la cliente satisfaite. Je vous dois combien?