Friday, December 28, 2012

Maya attitude



Et si moi aussi je me mettais à croire aux prophéties Maya? Selon ses dires, la fin du monde n’était pas la fin du monde en soi mais la fin d’un cycle. Car ces énergumènes-là avaient le don de mettre les petits calendriers dans les grands, de faire des calculs en veux-tu en voilà, de découper le temps à venir, présent et passé en petits morceaux tous identiques pour pouvoir le rassembler en cycles sur plusieurs millénaires. Ainsi donc, le 21 décembre n’était autre que la fin du 13ième bak-tun, qui n’est pas une nouvelle tribu pakistanaise mais bien une de ces fameuses bornes mayas.
Il y a dans mes listes de listes (ces fameuses listes qui me donneraient le statut d’artiste si j’étais en hôpital psychiatrique car si dans la vie normale, ceux qui répertorient, accumulent, listent avec minutie sans raison apparente, juste pour rendre compte, sont regardé d’un œil suspect, dans l’univers des fous on les considère comme faiseurs d’œuvres d’art) il y a celle des lieux où j’ai passé mes réveillons du jour de l’an d’aussi loin que je m’en souvienne. Ca fait une belle tranche de temps. Et je connais bien les évènements qui n’ont cessé de se reproduire à l’intérieur de ce cycle.

1990-1991                 Pau
1991-1992                 Pyrénées (Pyrénées Atlantiques, 64)
1992-1993                 Pau
1993-1994                 Vals (Ariège, 09)
1994-1995                 Vals
1995-1996                Pyrénées (Ariège ou Hautes Pyrénées?)
1996-1997                St Denis (93)
1997-1998                Paris
1998-1999                 Metz
1999-2000                 Barcelone
2000-2001                 Paris
2001-2002                 Madrid
2002-2003                 Sevilla
2003-2004                 Toulouse
2004-2005                 Madrid
2005-2006                 Malaussanne (PA, 64)
2006-2007                 Alpujarras (Granada, ES)
2007-2008                 Montclar-Lauragais (31)
2008-2009                 Buenos Aires
2009-2010                 Cordoba
2010-2011                 Nice
2011-2012                 La Peisse (Haut Jura, 39)
2012-2013                ?

                La fin de ces évènements donc. Un nouveau départ comme on le clame à chaque matin de nouvel an. La fin ou le retour au début. Ainsi bat le cycle.

Monday, December 24, 2012

Putain de Noël


«Qui tu es. D’où tu viens. Où tu vas. C’est pourquoi il avait rejoint à quinze ans le camps des déshérités de ce monde. Il pensait à elle bien sûr. A chaque instant. Le matin, le soir. Habillée et nue. Chaussées et pieds nus, installée dans le canapé, portant un pull qui lui descendait jusqu’aux cuisses, des photographies éparpillées sur ses genoux, sans maquillage, avec cet air sexuel et indolent du réveil qui le rendait fou. Il pensait à tout cela en passant sous l’étoile du Berger suspendue sur le boulevard des Capucines, se regardant au passage dans les vitrines des pâtisseries remplies de pâtes d’amande décorées de la cocarde tricolore et de marrons confits. Il voyait les boutiques ornées de gui, les carrioles ambulantes recouvertes de poinsettias, et il voulait mourir. Les épaules relevées, les mains enfoncées dans ses poches. Il lui semblait qu’il faisait plus froid encore que pendant les hivers glaciaux de Hongrie, il portait deux paires de chaussettes et un trois-quarts doublé d’agneau, mais cela ne servait à rien, il mourait de froid. Il allait le cœur glacé, furieux contre lui-même, jurant comme un impie, la démarche erratique, maladroite, au milieu des gens qui venaient en sens inverse les bras chargés de paquets. Il éprouvait une colère aveugle contre le monde. Plusieurs fois, il rendit une bousculade involontaire sans s’excuser et, devant l’air indigné d’un passant, se contenta de donner un coup de pied dans le trottoir.
                - Putain de Noël.»


En attendant Robert Capa. Susana Fortes

Monday, October 15, 2012

L’as-tu vu? Loup y es-tu?

               

 Un tableau de Hopper est une fenêtre inversée. On ne regarde pas à travers elle. C’est elle qui dirige sur nous un regard cyclopéen*. Blablabliblablabla.
Dans un de ses tableaux il y a une femme dans un bureau, un immense bureau ou plutôt rendu immense par une large baie vitrée donnant sur la rue. Un bureau. Office. Les rues sont vides. Nous n’avons d’autres choix que de porter notre attention sur cette lady mystérieuse sur le point d’ouvrir une lettre. Une lettre attendue? Une lettre qui va révéler un passé inconnu? Une lettre qui va changer sa vie? Une lettre qu’elle préfèrerait ne jamais lire ou tout simplement la facture de la compagnie d’électricité ou un prospectus pour acheter un canapé à crédit en payant en trois fois sans frais.
                Hopper, un voyeur ils disent. C’est vrai, dans ses toiles composées d’un fragment de réalité, vus depuis l’extérieur on jurerait que les protagonistes n’ont aucune conscience d’être observés. Observateur. Pilleur du privé. Mais n’est-ce pas tout simplement une essence humaine? Regarder là où nous ne devrions pas dans un but que chacun jugera à sa mesure: assouvir notre curiosité. On envisage toujours la vie de nos voisins (dans l’avion, à la maison, dans la queue de la poissonnerie au supermarché) comme lumineuse, radieuse, infiniment plus intéressante que la nôtre. Alors même que celui-là a pleuré cinq minutes avant, alors même que celle-là a foiré un entretien la veille. Voyeur du présent pour retrouver dans la tristesse du prochain celle qui nage au fond de nos propres entrailles en silence. Désespoir devant «cette vie-là est définitivement mieux que la mienne». Désespoir devant «il y aurait donc de la mélancolie derrière cette façade sans faille».
                Le voyeurisme ne nous mène nulle part. Que reste-t-il après avoir ouvert ces pages pour voir s’il s’y trouvait un nouveau post et bien évidemment prendre connaissance de son contenu? On lit, un clic et l’écran se change en autre chose, la page se ferme, on se retourne et quelqu’un nous a vu: tu fais quoi? C’est l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme. C’est l’histoire du voyeur qui regarde le voyeur qui regarde le voyeur qui regarde le voyeur qui regarde.
                L’intelligence du voyeur cependant, celle qui assure sa longévité en tant que voyeur est de veiller à ne jamais éveiller le soupçon. Dans les toiles d’Hopper qui travaille avec une caméra invisible pour peindre des plans fixes de scènes américaines, dans ces cadres finement étudiés on ne saurait en effet jamais y déceler les poils de la perche. L’imaginer pourrait être en outre un sujet pour tourner en dérision toute cette agitation qui se crée lorsqu’une exposition d’envergure se tient au Grand Palais (exposition pour laquelle bien sûr je déploierais mon énergie, mon savoir et vendrais mes bijoux de famille -ils sont peu nombreux- -mais quand même- si jamais on m’empêchait de m’y rendre). Vu ou être vu, that is the question.





* Peter Schjeldahl in Télérama Hors-Série. Octobre 2012

Sunday, October 07, 2012

ROAD TRIP TO KERVOAC




Ceci n’est pas un rêve ni un cauchemar. Encore moins un récit d’antan. Kervoac prononcé Kerouac. Vous y êtes?
J’ai découvert, par hasard - quand j’écris par hasard, je m’arrête, les doigts au dessus du clavier sachant que ça mériterait quand même une petite explication, que tout le monde sait que le hasard fait bien ou mal les choses. Le hasard, c’est un peu le sel du destin que l’on jète à toutes les sauces pour donner du goût mais restons en là pour aujourd’hui. Donc par hasard je découvre que Jack Kerouac était breton. Pas de naissance. D’origine, cela va de soi.
Quand on y pense à deux fois, avec un nom pareil, rien d’étonnant mais encore fallait-il s’y pencher. Ce qu’ont fait les Kerouac d’Amérique pendant plusieurs générations sans faire grande fortune. Même à l’époque où le sieur Jack était allé jusqu’à Brest, en 1965, dans le but de rencontrer dans la personne d’un monsieur nommé Lebris un aïeul en chair et en os, les pistes étaient complètement brouillées. Il y a moins de 10 ans, la lumière a été faite.
L’ancêtre serait un certain Urbain-François Le Bihan de Kerouac ayant émigré au Canada au début du 18ième siècle. Fuyant une sombre affaire de meurs, à son arrivée en terre d’exil il change son nom en Lebris de Kerouac, début de toutes les complications pour qui cherche ses origines. Jack cherchait donc sur les terres bretonnes un Lebris dans son arbre. Il faisait fausse route.
Les Le Bihan ascendants d’Urbain-François étaient des gens du lieu-dit Kervoac à côté de Lanmeur. Alors là, c’est le moment où je sors ma carte du Finistère, toute fraîche, toute neuve, ayant très peu servie au terme de cette année en plaines inconnues et je m’aperçois que c’est à deux pas chez moi. Alors j’ai pris ma bagnole et j’y suis allée.
J’ai pas lu Sur la route à 16 ans comme on l’entend souvent dans les témoignages. Je crois bien, je suis sûre même, que c’est Mic qui me l’a mis entre les mains. J’avais dû le feuilleter voire le lire en entier mais c’est l’édition que je tiens dans la main trouvée sur l’étal d’un bouquiniste à Toulouse qui m’a vraiment saisie quelques années plus tard. Voyez comme les gens «bougent». Le même livre, les mêmes phrases. Un jour elles te laissent indifférent, un autre elles te parlent et tu les écoutes. J’avais déjà parcouru plusieurs milliers de kilomètres avec mon sac à dos, j’avais toujours pris des notes et tenu des carnets lors de ces voyages multiples et variés où je ne cherchais rien d’autre que teinter mes lendemains de destinations nouvelles, attentive aux rencontres et acceptant les coups durs. Quoi de plus normal alors que de remplir sa bibliothèque d’écrivains voyageurs et de trimbaler dans ses valises des romans qui parlent d’expériences similaires à celles que j’ai vécu sur ma route.
A la sortie de Lanmeur, j’aperçois une stèle confirmant l’origine de cette épopée familiale et se tenant à la croisée de trois Kervoac: Creiz, Heulla et Izella. Je n’ai que l’embarras du choix. Un seul cependant solitaire émerge devant une ferme sur le bord de la route. Sur la route là où tout commence. Là où tout fini.

Friday, September 28, 2012

CAUCHEMAR SOUS LARIAM (3)


A Carbonne, 2002


                J’ai pensé à la création d’un nouveau prix littéraire: le prix du cauchemar. J’ai pensé à la création de ce prix parce que forcément, s’il existait et que je me présentais, je gagnerais.
                Dans celui-ci la maison était attaquée par un commando. On venait tout juste de repérer des personnes, mitraillettes au bras, postées sur le toit de la maison. Sans savoir ce qu’elles faisaient là, on les observait depuis la véranda, le seul endroit de la maison où l’on avait une vue panoramique sur le toit. Un membre du groupe, du nôtre, le seul armé, décidait de sortir et de rejoindre ces envahisseurs sur le toit pour tenter des pourparlers. Il planait au sein de la famille un sentiment d’épuisement et de lutte inutile. En gros, on comprenait que c’était la fin de tout. On se sentait comme des fugitifs subitement serrés par leurs poursuiveurs. Le commando pénétrait dans la maison et commençait à investir les lieux, occupant toutes les pièces. Sans tenir compte de nous, ils prenaient possession. Mais jusque là ils ne nous maltraitaient pas. J’étais la seule à être au courant de leur intention. J’en déduis que j’étais la personne qui avait tenté les pourparlers avec les envahisseurs sur le toit et que donc j’étais armée. C’est que le subconscient il te dit pas tout dans tes rêves, il te balance des personnages et ensuite il te donne des pistes pour que tu recolles les morceaux, histoire de voir si tu suis. C’est un exercice difficile auquel peu de gens se prêtent s’abritant souvent avec des «je ne me rappelle pas…». Mais ce n’est pas une épreuve du bac ni pour entrer en école d’ingénieur donc on s’en fou.
                Le commando avait envahit donc. Il fallait leur préparer la bouffe, les lits, etc… Les autres pensaient que c’était un simple squat, moi je savais que c’était une expropriation forcée.
                J’étais la seule de la famille à connaître le destin réel qui nous était réservé. C’est dire, les autres croyaient que nous avions des hôtes passagers, armés. J’essayais donc de traiter nos futurs tortionnaires comme des hôtes quelconques et eux en retour se comportaient courtoisement mais non sans afficher une supériorité.
                Le malaise est venu quand une femme du commando à commencer à faire des plans en disant que lorsque la maison serait rasée, elle établirait un carré de jardin ici-même. Toute la famille s’est regardée sans rien comprendre.
                Alors j’ai pris la femme du commando à part en lui disant «ok, vous aurez ce que vous voulez mais je me charge moi même d’annoncer le destin qui nous attend à ma famille»
                Peu à peu, nous nous sentions prisonniers, pris au piège dans un huit clos et la mort semblait notre seule issue. Nous serions battus car nous ne pouvions nous défendre et nous ne pouvions nous défendre car nous n’avions pas d’armes. Pas faute de courage ou d’idée mais faute de canons et de chars. Et puis à 7h29, l’infirmière a sonné. Le ding dong de la porte d’entrée m’a réveillé et c’est tant mieux car j’ignore comment je me serais dépêtrée de cette situation.

Sunday, September 16, 2012

CAUCHEMAR SOUS LARIAM (2)


Deux semaines après le début de la prise de Lariam, j’écrivais ces notes retrouvées dans mon journal de voyage:
            Depuis plusieurs nuits je fais des rêves atroces: une tuerie où un groupe de personnes (dont je faisais partie) se tirent à bout portant et se transpercent le ventre. Le sang et la chair giclent. Ensuite, j'ai rêvé de Bénédicte; elle était devenue folle et dangereuse. Une folie qui ressemblait à celle de Deneuve dans "Répulsion". Elle semblait capable de tuer quelqu'un sur le champ par n'importe quel moyen. Ces yeux surtout faisaient peur. Enfin, une chambre où se tenait une femme condamnée à mort était le décor de mon troisième rêve. Elle allait être tuée, elle se tenait petite derrière les barreaux. Son fiancé était là, lui tenait la main pour l'accompagner dans la mort. Elle souffrait et son visage n'exprimait que la terreur, aucune autre émotion ne semblait habiter son corps. De plus, elle était enceinte. Cela n’avait pas empêché la programmation de son exécution. Le couple qui avait été victime du crime qu'elle avait commis (quel crime? je ne sais pas), un homme et une femme d'une 50aine d'années, regardait la scène par une petite fenêtre incrustée dans la porte de la cellule. En effet, les plaignants ont le droit d'assister à l'exécution, je l’avais lu lorsque je tentais d’écrire une nouvelle sur le sujet. L'idée de regarder quelqu'un mourir et d'en éprouver une certaine satisfaction est bien plus qu’atroce à mes yeux. Elle fait partie de ces choses qui errent dans un monde extérieur au genre humain. Cette idée lui serait étrangère. Mais dans toute forme vivante il y a ce que l’on pourrait appeler des anomalies.
En temps normal je fais des cauchemars bien sûr mais là c'est un concentré express. J'ignore comment l'interpréter. Certainement comme le reflet des multiples tensions que j'ai connu depuis le début du voyage. Je ne pensais pas que cela avait pris autant d'ampleur dans mon esprit.

Monday, September 10, 2012

CAUCHEMAR SOUS LARIAM

Avant propos. Il y a maintenant plus de 10 ans, à l’approche de ma deuxième entrée dans le sous-continent indien, un médecin m’a prescrit du Lariam comme anti-paludéen. Mes rencontres de routards sont l’occasion d’échanger des expériences sur le sujet et je dois bien conclure que la majorité a souffert des mêmes troubles que moi : tachycardie, insomnies, maux de têtes, angoisses… Mais ce qui intrigue le plus mes auditeurs dans ces circonstances c’est quand je leur révèle qu’à cette époque j’ai noté sur papier mes cauchemars. Car les cauchemars sont aussi un thème récurrent que joue le Lariam sur notre organisme. Bien au delà du voyage je retranscrivais tel un scribe de la psyché ces voyages de l’inconscient qui me laissaient certes dubitative mais guerre préoccupée. Il est bien là une chose qui m’a toujours fasciné: les effets du Lariam perdurent bien après la prise ce qui signifie que la molécule laisse une empreinte de son passage. Par quel mécanisme? Mystère. Aujourd’hui les effets secondaires du Lariam sont mieux pris en compte (ils étaient à mon avis parfaitement connus à l’époque) et les personnes concernées semblent plus averties. Cependant le médicament traîne toujours sur le marché.


Je suis dans une forêt verdoyante. Avec une bande. Nous traversons un pont en pierre au milieu de cette forêt épaisse. De part et d'autre c'est la jungle angoissante, un chaos d'arbres, de végétaux étriqués style "La voie royale". Je me trouve dans les bras d'un homme qui me murmure des choses tendres à l’oreille tout en me faisant grimper sur le muret du pont. Tout en continuant de m'apprivoiser avec ses mots de sorcier il dégage son étreinte et, montrant un sourire diabolique, me pousse lentement dans le vide. Il y a une hauteur de 30 mètres environ et je m'agrippe à ses bras maléfiques ne pouvant croire que je bascule de façon irréversible. Dans une ultime poussée de sa part je tombe dans le vide, roulant sur la terre en contre bas. J’atterris consciente et vois les autres en haut, très haut me faire des signes d'adieu. Je ne crie pas. Instinctivement, je comprends que je ne suis pas morte mais condamnée à occuper cet espace n'ayant pour autre compagnie les arbres hostiles et les bêtes féroces. Quelques semaines plus tard, le clan revient pour vérifier l’avancée de ma décomposition. Je gis latéralement dans une mare hideuse et noire. Mon corps flotte. Je suis morte sans l'être. Ils entreprennent alors la remontée de mon cadavre au bout d'une corde. Mon corps se fraye un passage entre les branches. Une fois hissée, je pourrais profiter de cette opportunité pour m’évader. J’ai en effet retrouvé le sentier tracé dans cette jungle mais je décide de ne donner aucun signe de vie. Le clan constatant ma mort de façon formelle jette de nouveau mon corps par dessus le pont exactement comme un des leurs l'avait fait auparavant. Je retrouve mon antre où j'avais commencé ma mort, heureuse d'y nourrir le désir de hanter à tout jamais les lieux.

Sunday, July 01, 2012

ANECDOTES



Mon Oncle. Instinctivement vous imaginez un homme haut de taille, la mine patibulaire mais un peu égarée, longiligne, un pipe coincée entre les lèvres et un pardessus sans forme accroché sur les épaules. Vous n’y êtes pas du tout. Mais je voulais commencer ce post comme ça. Car si vous n’y trouvez pas les créations de Tati, vous pourrez au moins y lire les histoires de Tonton. Elles ne datent pas d’hier mais elles étaient là, sorties de ma plume, enfouies au fond des pages, notées au terme d’un repas familial, lorsque le café refroidissait dans la verseuse et que les estomacs repus, commençaient la phase non sans peine de digestion.
Espion ou scribe?

Il y a plusieurs années, mon oncle et sa compagne partaient visiter le musée d’art contemporain de Milan avec un couple d’amis sujet aux engueulades. Ils habitaient Nice à l’époque et la capitale lombarde constituait une destination de choix pour sa proximité. Au cours du trajet, tous embarqués dans la même auto, la femme du couple en question est prise de doute: elle pense avoir laissé sur secteur le fer à repasser. Ils sont à mi chemin entre les deux villes; l’idée de revenir sur leurs pas pour vérifier l’état de l’appareil ménager est rapidement exclu d’autant plus qu’il s’agit d’un doute. D’un doute seulement. Au pire, il chauffe et rend l’âme. Personne ne pleurera un fer à repasser mais voilà notre protagoniste prise de douleurs terribles à l’estomac. Il faut trouver un hôpital en Italie. Aux urgences, il y a beaucoup d’attente. Un interne dépité annonce à son collègue: «ce soir, trois malades, trois morts». Sans attendre leur tour dans le couloir qui mène à une morgue potentielle, l’équipe en vadrouille décide sur le champ de quitter les lieux. Il est aux alentours de onze heures du soir et temps de trouver dare-dare un hôtel où passer la nuit. Milan n’est pas encore rendue. C’est à Gêne port lugubre et désert qu’ils décident d’établir le campement. Tous les hôtels sont malheureusement complet. Il ne reste qu’un établissement de luxe dont le prix de la chambre ne sera connu qu’au petit matin… Arrivés à Milan, il est midi sonnante et ils s’attablent pour le déjeuner. Un conflit éclate au cours du repas sur l’origine de la viande: la femme du couple défend qu’il s’agit d’agneau, l’homme affirme que c’est du bœuf. Ne pouvant trouver un terrain d’entente, l’homme en colère quitte la table sans donner aucune explication. Ils se retrouveront dans un glacier de la ville et finiront par visiter le musée qui rappelons-le était le but de l’excursion.

Ce même couple aux fantaisies mémorables part un jour sur la Costa Brava en vacances. A ce stade de la réunion familiale, je me ressers du café froid, passe outre la digestion en péril et ne désire plus quitter la table. Même, si certains ronflements montent des chaises voisines, je me tiens à l’écoute, les oreilles pointées vers la source. Le narrateur fait rouler un épais bouchon de liège entre ses doigts, triture la ferraille qui l’encercle. Le couple se loge dans une petite pension de la côte. A la fin du séjour, la femme découvre au milieu des vêtements emportés pour le voyage une liasse de billets. Il est décidé sur le champ de taire la trouvaille miraculeuse des fois que les propriétaires de la pension y verraient un lien avec une réclamation de clients antérieurs. C’est l’allégresse. Les vacances touchent à leur fin mais pourquoi ne pas s’offrir un bon gueuleton dans un restaurant ainsi qu’une nuit en pâture avec la jet set méditerranéenne. Ils mettent leur projet à exécution, heureux comme des princes.
Quelques mois plus tard, arrive le premier tiers des impôts. La femme a l’habitude de conserver une somme en liquide dans l’armoire de la chambre à coucher dans la demeure matrimoniale. Les piles de vêtements bien repassés sont mises sans dessus-dessous. Impossible de mettre la main sur l’argent destiné au trésor public. La facture du cinq étoiles s’en souvient encore.

            Récemment sur la route du grand Sud, je m’arrête à un déjeuner pour le saluer. C’est enfin le début de l’été et il fait enfin chaud. Je gare une Ibiza flambant neuve, rayée par mes soins au contact d’un buisson au début invisible, sous les platanes. La douleur d’une absence pèse. Maintenant, partout où l’on va dans ce grand Sud, elle pèse. On franchit le pas des maisons et elle pèse doublement, triplement. Peu importe, les photos en noir et blanc sont sorties. Je les regarde et apprends de nouvelles anecdotes. Cette fois pas le temps de noter. Nous faisons les 100 pas devant la bibliothèque. Certains ouvrages que je reconnais me renvoient dans le passé. Un fauteuil, des livres, un tapis en coco. Oui, j’en prends. Ne t’inquiète pas. «Ah mais attends, tu as lu ce truc?» Mon oncle est parti chercher un numéro de Marianne. Récent. «Écoute ce poème». La vague du siècle déferle. THE wave.

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes des pays loin
cobayes des colonies
Doux petits musiciens

soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers 

Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou bien du Finisterre
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres 

Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d’une petite mer
où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet

Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés 


            Volontiers, je lui prends le magazine des mains pour finir cette lecture qui s’est vu barrée par ses sanglots.

Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd’hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières


On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos


Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez. 


          
            Il s’est ressaisi: «Tu te rends compte de la contemporanéité de ce texte». C’est Jacques Prévert. En 1951.

            Repartie au volant de la petite noire, il faudra avaler ça. Je prends la rapide puis ressors. Axe parallèle. Après-midi chaud. Je me perds dans la sous-préfecture pour m’éclipser un peu plus loin. Un panneau indique un coin rupestre. Je m’y engage, arrive sur une place, me gare. Sur la plaque, il est écrit: «richesse intérieure». La destination finale m’accueille:
-         Je t’attendais
-         Et moi, j’ai quelque chose à te raconter

Monday, April 09, 2012

Dérive sur plateforme

Dérive sur le roman «Plateforme» de Michel Houellebecq

Houellebecq me surprend et me surprendra toujours. Dans le train, je termine Plateforme, un roman rédigé sous la forme autobiographique. Commence à la mort de son père. Se termine par «l’entrevue» de sa propre mort. A la fin du livre, bien sûr je vous le dis tout de suite, l’auteur n’est pas mort mais semble quand même s’attrister; «On m’oubliera. On m’oubliera vite». Ça colle pas trop avec le personnage que l’on connaît, indifférent à tout, y compris sa propre vie. L’écriture est avant tout vanité nous dit Xingjian. Houellebecq n’échappera donc pas à la règle. Découverte n°1.

Dès les particules, Houellebecq m’est apparu plus comme un sociologue qu’un écrivain. D’autres n’y ont vu que du feu, du sexe, de l’opprobre et m’ont mis en garde: «ah tu verras ce livre-là, j’ai pas pu aller jusqu’à la fin». Moi si. C’est comme si les crochets, sexe, feu, drame, sang, saloperie posés ça et là sur la paroi du roman n’avaient en rien gêné ma progression. Préoccupée j’étais par ce qui se tramait en dessous. En dessous des lignes. Ses théories sur la sexualité, celle qui s’applique à la version occidentale de l’espèce humaine, sont cruelles de vérité. Mode de vie aseptisé et réglementé, bestialité étourdie, endormie, parfois anesthésiée à jamais. Perte de l’instinct voire. La dessus vient se greffer la monogamie, pur héritage judéo-chrétien que même les partenaires les plus profondément païens ne peuvent extraire du testament qu’ils ont reçu. Qui oserait une rature, une rayure sur ce beau document parcheminé de promesses reluisantes sur l’avenir du couple? Qui oserait un gribouillis manifestant notre refus d’une condamnation au partenaire unique? Facile à dire. Je m’en suis rendu compte quand je me suis trouvée face au problème. Oui, d’accord j’étais d’accord mais finalement devant les faits c’est devenu différent. J’argumentais à en perdre la mine, je citais, je référais tant et plus que le Don Juan en question m’accusait de plagiat «ça, tu l’auras copié de quelques livres…» à la fin de sa lecture. J’étais peut-être trompée mais j’épinglais ce beau compliment telle une cocarde sur mon blouson. Bataille perdue.

Vous l’avez compris, pour accepter une chose qui était jusque là condamnable - pour ceux qui auraient perdu le fil nous y sommes toujours, oui au chapitre de l’infidélité - il faut qu’elle soit pratiquée à égalité par les deux partenaires. Et ça c’est risqué car les hommes s’y prêteront plus volontiers que les femmes. Pourquoi? Je ne sais quel soubassement culturel universel, quelque condamnation hormonale, quelque loi de la nature divine, quelque désir de foyer et d’enfanter qui n’existe ni chez le mâle ni chez sa descendance portant le Y. Nous voilà bien. Ce n’est pas une découverte.

Problème quasi insoluble. Le temps. Souvent je dis ça quand je sais la chose vaine. Le temps vaincra, cette situation inextricable, ce sac de nœuds, cet atavisme rampant. Car le temps transforme. Il veut bien si la volonté est de la partie. Pour revenir à Houellebecq son analyse tient le coup. A cela, il ajoute un autre facteur qui vient aggraver l’état de l’instinct de cette version occidentale de l’espèce donc: le changement des rapports homme / femme. Dans une monde bipolaire, le pôle qui domine l’autre est bien aise et, cela va de soi, se trouve bien dépourvu quand subitement le pôle faible acquiert de la puissance. Une situation bien confortable la domination au final. Souvent notre seule erreur est de perpétuer les privilèges qui nous sont octroyés. Les mâles seraient donc déstabilisés par l’ascension sociale des femmes. Ils voudraient bien revenir à des amantes simples et douces dont la perspective d’un foyer familial stable et bien entretenu était la clé de leur bonheur. Trop compliquées les femmes du même espace géographique et culturel? Ils s’en vont chercher ailleurs, là où les mœurs ne courent pas si vite. Houellebecq a compris: le tourisme sexuel c’est une solution pour les hommes seuls. Cadres de préférence. Riche ou non. Une seul voyage en avion pourrait voir s’écraser cet ennui sentimental qui perdure au fin fond des bureaux et des salles VIP. Projection dans ces portraits d’hommes occidentaux? Qu’importe. Enfin non. C’est plus fort que moi. Je me demande toujours comment a travaillé un auteur pour écrire un roman. Est-il allé sur place pour expérimenter ou s’est-il contenté de la documentation? Mes questions restent en suspens. Pas de découverte.

Son analyse de l’homme occidental n’est pas fausse donc. Il nous l’expose, l’explose? Il aurait pu tout aussi bien prendre le contre pied; si les mâles vivent trop mal cette rupture du mode relationnel homme-femme traditionnel, ils n’ont qu’à faire preuve d’adaptation. Evolution face aux changements plutôt que jouer les enfants boudeurs. Mais non, il n’en est pas ainsi. Il va même jusqu’à analyser les prostituées thaï. Ils les présentent comme libres, plutôt détachées. Ce qu’elles ressentent réellement reste à vérifier. Beaucoup sont éduquées selon un mode traditionnel. L’argent qu’elles touchent doit certes constituer une forte compensation mais gagner sa vie de cette manière ne doit pas toujours être une partie de plaisir. Si les hommes fuient, se pose le problème suivant: qu’ont à se mettre ces femmes restantes sous la dent. Peut être que la consommation de l’instinct par les femmes fera l’objet d’un autre livre? Découverte.

Si l’on résume, Houellebecq sort son feutre rouge et souligne: la société occidentale traverse une crise qui touche les deux genres. Une première révolution a vu le jour dans les années 70. On sais pas très bien si on en est venu à bout où si l’on est tout simplement revenu dans une mode bourgeois, monogame et tranquille. Un mode qui au final ne nous convient pas. Houellebecq se questionne sur une seconde révolution. Et là, petit intermède. Diling Diling. Un tintement de clochette et l’image se fait vaporeuse, presque opaque, grise, blanche et noire, le souvenir se forme. C’est Pauline à Paris qui a pointé son index sur MH et m’avait entraîné sur le débat. Pauline, une amie de l’école de ciné. Elle vivait à deux pas de la rue de Cîteaux dans une chambre cosy sous les toits. Voisines pour ainsi dire, nos rencontres fortuites nous conduisaient devant un plat de pâtes chez elle assises sur le canapé face à des poutres-étagères croulant sous les livres qui me fascinaient. Pas de confusion, ce qui me fascinait c’était tout autant la force, la robustesse des poutres supportant le poids de tous ces volumes y compris des encyclopédies (à l’époque la toile était encore en train de se tisser) que la quantité d’ouvrages présents dans un si petit espace. Elle me parlait de Houellebecq, m’expliquer pourquoi «extension du domaine de la lutte». Quelle lutte? Celle qui aboutira à la deuxième révolution. Tu comprends maintenant? C’était en 1997-1998. Diling diling. Fin du souvenir.

Avec ce roman, «Plateforme», on dirait qu’il n’a pas encore trouvé la solution. Le même thème y est illustré, bien documenté, parfaitement réaliste au moins pour certains personnages. Chose nouvelle tout de même; il essaye de nous parler d’amour. Au début du roman, le personnage principal, soit l’auteur, est complètement désabusé face à ses relations avec les femmes. Finalement il en rencontre une qui lui convient, ce qui peut arriver certes. Alors il reprend un peu goût à la vie mais en somme on s’en fou. Ce que l’on a du mal à croire c’est que cette nana qui n’a, pour le moins dans le roman, aucun défaut, arrive à s’intéresser à lui. Il y a peut-être l’aspect physique. On ne sait pas. Il finit par s’installer avec elle parce que «ça colle». Et pourquoi ça? Parce qu’elle a le don du don. Quoi? Elle est capable de donner gratuitement, et ça, ça le séduit définitivement. Il restera avec elle. J’ajouterais là un commentaire personnel. Ce qui est incroyable chez les gens qui parlent du don avec emphase, c’est qu’ils sont capables de l’identifier sur autrui mais pas foutus de se l’appliquer à eux-mêmes. Ils approuvent, se fascinent, ont de l’estime pour ceux qui donnent mais n’ont jamais analysé leur capacité à donner et cela leur paraît normal. Voilà.

L’auteur est bien aise d’avoir trouvé cette femme qui finalement mène la danse. Tant mieux. Il n’y a pas de problèmes économiques dans leur couple. Milieu des cadres. Voyage, porte jarretelle, couple fois deux, échanges modernes, etc, etc, etc... Vers la fin du livre, il la fait mourir dans un attentat. Mince, je vous l’ai dit. Si vous comptiez lire le livre c’est foutu. Qu’il le veuille ou non, l’auteur (et quand on sait de quel auteur il s’agit, on écarquille les yeux) atteint le romanesque. Un romanesque moderne. L’auteur perd sa bien aimée. Plusieurs mois de psychiatrie, plusieurs mois prostré. Il fini par s’isoler pour écrire un livre. Si c’est pas romanesque ça. Il s’isole à Pattaya. Je n’ai pas connu Pattaya. J’ai eu envie d’y aller. C’était pas sur ma route mais c’était pas la raison. La vraie raison c’est que la faune n’était pas la mienne. Et alors? Curiosité manqué. Ville de merde. Attention pas merde au sens péjoratif. Un sens nouveau. Un sens qui intrigue. Tiens, ce lieu n’est nulle part sur les cartes. Allons-y! Ou: tiens, ce lieu, personne n’y va, allons-y!

Vivre dans les endroits de merde, ça pourrait devenir à la mode. Je me questionne forcément. Une ville de merde c’est bien. Une ville où il n’y a pas d’animation dans les rues le soir. Un peu toutes les villes de France sont comme ça, non? A découvrir.

Sunday, April 01, 2012

Analyse du cosmétique

Analyse du Roman «cosmétique de l’ennemi» d'Amélie Nothomb

Dans une salle d’embarquement s’engage un dialogue forcé entre deux personnages. Leurs patronymes sont disgracieux mais l’étymologie est étudiée. Il s’agit d’un discours sur l’ennemi intérieur, d’une allégorie du diable. L’existence de ce mal en soi, symbolisé par le diable nous accule à ne plus croire en Dieu. Le diable se manifeste par le désir soudain d’ingérer de la bouffe pour chat à pleine poignée et d’en éprouver une répugnante satisfaction. Cet ennemi est aussi extérieur, l’autrui qui dérange.

La prise de conscience de cet ennemi rend mauvais. La résultante en est un désir de pourrissement de la vie des autres. D’autant plus qu’ils sont déjà malades. Les rendre encore plus malades pour leur apporter la guérison.

Comment l’ennemi T, sait que J, la victime est malade? T laisse penser qu’il connaît le passé de J. S’en suit une scène de lutte pour ne point écouter les monologues de l’ennemi. Torturée, la victime se bouche fortement les oreilles. Douleur insupportable, la victime est obligée de céder. L’ennemi expose sa stratégie: détériorer la vie d’autrui de manière légale, en le saoulant de paroles. L’ennemi raconte sa vie: l’irrévocable auto-culpabilité.

Enchaînement sur l’amour. Classique, l’ennemi a aimé une femme au premier coup d’œil mais ayant un physique disgracieux, il savait d’emblée que la conquête était impossible. Trouvant cela injuste, il la possède par le mal. On dénote ici une analyse psychologique de l’ennemi. C’est dans le manque d’amour que se trouve la genèse de la cruauté chez l’individu.

La femme que cet ennemi a convoité puis tué n’était autre que celle de la victime. La victime le devine elle-même. Rebondissement. En même temps la victime J comprend qu’elle n’a pas été choisie au hasard. Le motif de l’ennemi se fait plus précis: il veut être tué par sa victime. Cette dernière s’oppose évidemment à un tel dénouement.

Cette situation nous pose inévitablement devant le débat suivant: pourquoi refuse-t-on de rendre justice à la personne que l’on a aimé. Lâcheté? Morale? Penser qu’un autre recours est possible? Est-on sûr d’avoir l’assassin en face de soi?… La victime en vient à demander les preuves du crime. La situation se retourne, les rôles s’inversent. L’ennemi et la victime se révèlent n’être qu’un seul et même personnage qui finit par mourir dans un acte de folie sanglant.

Sous la forme d’un dialogue entre un ennemi et sa victime, dans le huis clos d’une salle d’embarquement où les passagers attendent un vol désespérément retardé, Amélie Nothomb explore une universelle question: la partie abjecte de soi et la relation que l’on entretient avec elle. A l’orée du roman ils sont deux personnages qui termineront fusionnés dans un seul et même être au terme d’une résistance féroce. Sa conclusion dépasse ce que nous voulons entendre, l’ennemi le plus radical qui nous poursuit n’est autre que nous même. Ce roman n’est autre que la démonstration sans équivoque de cet axiome déconcertant: nous couvons notre propre ennemi.

Sunday, March 18, 2012

old letter (2)


Lettre à mon frère virant écolo

envoyée

oct 2004

Le motif de cette lettre ne sera pas de relever ton art en matière de jeu de mots («la came m’isole de force» a flanqué définitivement une baffe à ma lexicologie et ratatine tous mes espoirs de trame humoristique dans mes textes) mais encore de parler d’écologie et pour introduction je soulignerais une information toute fraîche qui met sans aucun doute de l’eau à ton moulin. Comme moi, tu dois te réjouir d’avoir appris que le dernier prix Nobel de la paix a été attribué une écologiste, la kenyane Wangari Maathai qui est à l’origine du mouvement de reforestation Ceinture Verte et de la création des 50 000 emplois (ça fait rêver, hein?), des planteurs d’arbres.

Au passage, je défendrais que l’engagement doit avoir cette spécificité: être dépourvu d’intérêt. C’est vrai qu’on a l’impression de péter dans la semoule en tentant de faire changer les mentalités en matière de consommation d’énergie (ceci dit que peut-on espérer des classes qui s’émerveillent devant des films comme Amelie Pouliche? (Au passage la sound track de ce film accompagne ma rédaction car putain! y a rien de mieux pour atténuer mes dépressions post ciné documentaire (un film épatant colombien, j’ai nommé «Marie Full of grace», qui relate l’odyssée des passeurs de drogues entre Bogota et New York, fermez les parenthèses))). Pour le néophyte qui prend le chemin du combat (idéologique) l’erreur est certainement de donner de l’importance à ce constat (les gaspilleurs d’énergie autant que les visiteurs de la poulouche). Car qui dit «c’est perdu d’avance» a toutes les chances de perdre. Merde! Bon, je reconnais, j’ai pas inventé l’eau chaude mais Rika Zaraï a réhabilité les bains de siège pour combattre l’hépatite; c’est pas une mince affaire et ça aussi, que tu le veuilles ou non, met de l’eau à ton moulin.

Ceci dit tu me donnes bien du fil retordre en m’exposant qu’en matière d’éolien (j’apprends du langage) l’Espagne et la France se tournent le dos. J’ignore pourquoi et quels sont les éléments qui permettent d’en conclure de la sorte. Ma vision des choses est tout autre; d’un côte je vois un pays qui a développé un grand nombre de parcs et de l’autre, un qui se tourne de plus en plus vers la chose (et ce, grâce à, j’ai l’honneur de citer, Frédéric Boutet!).

Le modèle de l’Espagne miroite derrière tes portes et nul doute que tu aurais intérêt à l’étudier de plus près. La barrière des langues peut se sauter facilement, crois-moi. Mon expérience en témoigne. Grâce à mes classes intensives, Poncho, mon compañero de piso -my roommate if you prefer- fait des progrès épatants en français. J’en déduis quand il prononce, presque sans accent «et mon cul, c est du poulet?» ou «c’est quoi ce bordel» ou encore «tiens, voilà du boudin». Je suis d’ailleurs assez rassurée qu’il sache bien les dire vu que ces expressions sont intraduisibles en espagnol. Surtout «tiens, voilà du boudin» dont la recherche de l’équivalent linguistique a mobilise les forces intellectuelles de toute la communauté francophone hispanophile. L’affaire s’est soldée par une capitulation sans appel.

Comment donc s’inspirer du modèle espagnol? Peut-être serait-il instructif de connaître les politiques qui ont été mises en œuvre pour arriver à un tel stade de développement des parcs éoliens. Oh! Il s’agit éventuellement d’un motif saugrenu. L’origine d’une telle réussite relève peut-être de l’anecdote: genre le ministre del medio ambiante de l’époque avait une maîtresse au physique de Pocahontas qui tenait un commerce de macramé du côté de d’Astorga (l’équivalent ibérique du plateau du Larzac). Dans ce cas-là, on n’est pas plus avancé. Mais on ne peut s’en tenir aux seules hypothèses, tous les espoirs sont permis. Et c’est sur cette note optimiste que je terminerais en espérant que les cinq pour cent d’hélice fructifient et aiguisent ton pouvoir de conviction.

Sunday, February 26, 2012

old letter (1)


Lettre à mon grand père

Jamais envoyée

Lundi 24 février 2005

Il pourrait me rester les yeux pour pleurer mais par bonheur il demeure aussi en moi la force d’écrire. De t’écrire. T’écrire des mots que tu ne liras jamais. Tiens! d’autres diront, c’est bien dans son habitude cela: s’adresser à des gens sans leur offrir l’opportunité de lire. Un bougeoir est allumé et le silence règne autour de moi. On entend le vent soulever les rideaux dans l’arrière cuisine et aussi des voix résonnent dans la cage d’escalier. C’est lundi et Jean est entre la vie et la mort. Je l’imagine calme dans l’attente. Oui, c’est ainsi que je le perçois. Car une fois que le corps se déglingue, que lui reste-t-il sinon ce calme muet, son âme tranquille flottant autour des tuyaux et du bip des machines. Des traits clairs, verts, lumineux sillonnent un écran noir, témoins du calme. J’aurais aimé te poser encore mille questions, des questions que j’ai consigné dans mes carnets. Qui sait? Peut-être que tu m’offriras le temps de te les formuler. Car après tout, on ne sait pas, on ne peut jamais savoir. Même si les espoirs sont bien maigres, ils existent et font qu’on s’en retourne bien vite à ce que l’on a manqué. Vite, vite, des fois qu’on pourrait les sauver, ces instants manqués qui maintenant se font la malle à la vitesse grand V. Quelle est ta vitesse à toi? Croisière? Déjà tu vogues bien tranquille, cap sur l’éternité. Tu as mis le cap mais je veille sur cette trajectoire au cas où… tu changerais pas par hasard? Virement de bord, marche arrière. C’était une fausse route. Ce serait bien ta première déroute. Est-ce que je n’idéalise pas un peu? Cher Mohaï, je sais que tu sais après tout, que tu sais combien vous avez compté Marie-Lou et toi. Je sais que tu sais et je sais qu’elle sait. Et c’était pas la peine de se le dire avec des mots. Cela aurait été grossier de se le dire, n’est-ce pas? Cela aurait été comme filer un grand coup de sabre dans cette dans l’intimité.

He! Reste un peu, un tout petit peu. Je te le demande comme je l’avais demandé à Marie-Lou. Elle m’avait entendue. Et toi? M’entendras-tu? Et s’il n’en est pas ainsi, alors au diable les espoirs. Que ta volonté soit faite cher Mohaï comme tu as toujours su la mettre à l’épreuve dans ta vie. Un Mohaï, c’est bien ce que tu es et je fais le vœux de pouvoir un jour déposer une petite fleur au pied de ces statues si lointaines dressées de l’autre côté de la planète pour honorer ta mémoire. Ton histoire, à l’image de ces colosses de pierre n’a jamais vu faillir tes principes et tes lois. A disposition je n’ai que cette petite bougie pour marquer ta présence. Et c’est elle qui m’éclaire comme m’ont éclairé tes mille réflexions sur le monde. Celui qui pleure, pleure et ne construit pas. Je préfère ce silence qui m’accompagne que n’importe quelle présence qui malmènerait mes émotions si fragiles à cette heure. Pleurer pour qui? Pour quoi? C’est heureux qu’il faut être quand on a en face de soi des vies comme celle du Mohaï.

Je regarde la carte du monde. Merde! Ce sera pas une maigre aventure que d’aller déposer une brindille, une broutille à 5000 km au large des côtes du Chili. Ce sera pas de la tarte. Vrai de vrai. Mais puisque l’on court toujours après quelque chose, puisque telle est la condition humaine, voilà de quoi m’occuper pendant plusieurs années. Je m’embarque, je sais pas quand je reviendrai mais une chose est sûre, quand je reviendrai je n’aurai pas l’âme plus satisfaite, j’aurai juste la sensation, éphémère, d’être moi-même.

Tuesday, February 14, 2012

Excercices de style

Écrire une lettre, raconter une histoire, relater un fait, peu importe le fond, la matière. Nul ne l’ignore on peut le faire de différentes façons. Dans cette optique, à la manière de Queneau, j’ai soumis ma plume à des exercices. La trame étant la suivante:

La narratrice, exilée en Espagne, fait appel à un ami de longue date pour se procurer la substance clé nécessaire à la réalisation d’un «space cake». En prologue à cette requête apparaissent quelques épisodes radieux de la nuit madrilène en compagnie de ses copines du moment et la lettre se termine sur le commentaire d’une œuvre personnelle réalisée avec des images Poulain. La narration se fait sur deux modes antipodaux.

Romantique

Cher ami,

J'ai rompu hélas avec la formule "escapade en basse montagne" faute de compagnon de route et me suis repliée, ce qui n'est non moins à mon goût, sur les "street party" avec mes amies, celles que vous avez eues la joie de rencontrer au cours de votre visite: Deborah la muse, Noeke la mystérieuse hollandaise, Jessica et Karine, son amie de toujours. Nous nous sommes ragaillardies autour de ce que la gente populaire nomme ici "tinto de verano" dans une taverne irlandaise puis à la terrasse d'un de ces cafés si insignifiant en janvier mais tant prisé par les badauds à l'heure des fêtes de la Sainte Vierge. Il n'en fit aucun tourment à nos estomacs déjà adaptés aux consommations journalières qu'une âme à la raison aiguisée qualifierait d"excessive.

Au contraire, il en résulta plutôt quelques émulations de nos esprits: des projets culinaires dont nous dessinions les plans le dimanche après-midi suivant autour de la piscine. Nos draps de bains étalés sur les dalles, tantôt nous chauffant allongées dans nos maillots de bain, tantôt nous soulageant de la chaleur dans l'eau fraîche du bassin, nous échangions nos connaissances afin d'élaborer un dessert de "Maria" (elle est très à l'honneur au mois d'août). Après de multiples concertations, il apparût clair qu'un mélange de beurre et de sommités résineuses devait entrer dans la composition pour obtenir un «space cake» des plus savoureux et nous assurer des délices euphorisants.

La "Maria" étant l'ingrédient difficile à trouver ici, il serait bienveillant de votre part de nous expédier par colporteur postal une enveloppe fournie contenant un échantillon de la production du Domaine. Bien sûr cette requête ne demande à être examinée dans la seule mesure où elle n'entamerait en rien votre réserve personnelle et où elle respecterait en tout point votre morale si soigneusement éduquée. Si vous sentiez venir un refus spontané, ne laissez point votre esprit en trouver les raisons. Je ne souhaiterais pour rien au monde être l'objet de sentiments outrés de votre part. Dîtes seulement non et l'affaire sera close.

A cette épître, je joints une composition d'images "Poulain" dont j'avais constitué une collection dans ma jeunesse. Il semble, comme le sait notre cher confrère, que les poulains aient marqués notre génération à l'instar des chocs pétroliers, des prothèses en silicone, des disques compacts et de la conquête de l'espace dont vous pourrez admirer les illustrations. J'ai choisi des feuilles transparentes comme cadre afin de laisser libre l'accès à la lecture des annotations relatives aux images évoquant la décennie 1970 qu'il appartient à chacun de connaître.


Junky

Salut!

Terminées les virées dans la Sierra le week-end. Je les ai troquées contre les débandades nocturnes avec mes grues favorites que tu connais déjà: Deborah, Noeke, la Lauradernesque Jessica et sa copine des balloches.

On a attaqué par cette mixture de boit-sans-soif, succédané de la sangria, dans un bar à la con trop connement irish puis on s'est casé le cul dans des chaises en plastique vert sur le pavé crasseux d'une place à Chueca en prenant une rallonge de ce breuvage vomitif. C'était autour du 15 août et bon, je peux te dire que ces espagnols -et nous aussi du reste- y manquent pas une occaze pour se laver les tripailles. D'ailleurs je m'étonne que les miennes de tripes aient pas encore lâcher. Bien mieux, nos excès alcooliques se sont traduits par une fermentation d'idées, et cela, pas seulement dans ma minable cervelle mais également dans celles de mes consœurs.

Ces courses de l'esprit, nous leur faisions faire des pointes le jour du seigneur suivant, réunies cette fois autour de la piscine. Toutes bikinisées que nous étions lors de ce conciliabule sur serviettes de plage, il était question de comment se tailler une recette avec de l'herbe, "la Maria" comment ils l'appellent si joliment (n'oublie pas c'était autour du 15 août). Alors paraît que pour faire un bon «space cake» il faut la mélanger avec du beurre et donc un truc style fondant au chocolat ou brownies devrait faire l'affaire.

La seule couille c'est que de la bonne herbe, on sait pas où en trouver ici et on va pas se la jouer comme notre vieux compadre à ratisser la ville pour trouver un fournisseur. Aussi le plus pratique serait que tu nous fasses grâce (ah! qu'elle est bonne!) de quelques têtes si t'en as ramené de Campanile-city et si t'en as assez of course. Bon, je connais aussi ta ligne protestante très marquée ces derniers temps et te vois bien capable de t'étrangler, en lisant ma demande. Alors si t'es pas d'accord c'est non et puis on oublie le deal, d'ac?

Pour finir je t'envoie le résultat d'un happening, confectionné avec des vignettes Poulain dont j'avais une sorte de calamiteuse lubie autour de l'âge ingrat (ingrat!) ou après, je sais plus. Nous sommes plus d'un –notre vieux compadre étant à ma connaissance le pionnier- à faire aujourd'hui l'exploitation artistique des poulains et ceci m'incite à placer la révolution du chocolat en poudre au même rang que la crise des hydrocarbures, l'apparition des galettes CD, des nibards siliconés ou que la conquête spatiale ("on a marché dans la blanche!" (Louis A.)). Réuni sur la planche transparente, le tout constitue une sorte de Nota Bene de la génération 70 dont tu pourras rafraîchir ta mémoire à l'occaze (n'oublie pas de lire le verso qui donne toute son importance à l'œuvre).

Sunday, January 15, 2012

CHASSE A L'HOMME - épisode 7/7

«Un beau matin, mon attention se porta sur une camionnette qui descendait la rue. J’étais sur le trottoir en conversation avec le représentant en machine-outil qui venait faire ses démarches dans le quartier. «Je viens de la louer!» me cria Bernard depuis la fenêtre en donnant deux petits coups de klaxon. Il portait un bonnet sur la tête. Un bonnet de laine assorti à ses gants. Cinq minutes après il l’avait garée et entrait dans la salle.
- Qu’est-ce que vous allez foutre avec cet engin? Demandais-je sans détour.
- Je suis foutu dehors. Donnez-moi un café très serré Joséphine s’il vous plait.
J’écarquillais les yeux.
- Par ma propre femme…
«Je comprenais. Il avait tout confessé. Ni une ni deux, Petra avait du l’envoyer faire ses valises sur le champ. Ce que j’aurai fait du reste si mon mari m’annonçait un truc pareil. La main de Bernard tremblait en remuant l’expresso et l’image joviale qu’il renvoyait dix minutes plus tôt depuis le siège conducteur de la fourgonnette avait disparu. Il n’y avait personne à cette heure-ci dans le bar. En fait, cela n’avait pas été si … comment dire … expéditif, poursuivit Joséphine. Il y avait eu plusieurs scènes, du verre brisé, des larmes, des mouchoirs en papier dans tout l’appartement pendant plusieurs jours, des portes claquées et puis finalement, des coups de fils aux avocats. Bref, Bernard venait de vivre les dernières heures de son couple. Il accrocha sa main à mon bras comme si une bouée se présentait fortuitement:
- Je sais pas si je fais le bon choix. Mais je ne peux plus revenir en arrière. C’est fini maintenant. Décidé.
- Il semble, acquiesçais-je. Allez mon vieux. Vous allez où avec votre chargement?
- Et bien! Chez Monica! Elle n’a pas beaucoup de meubles. Très étonnant d’ailleurs pour une femme.
- Je sais que c’est pas le jour pour vous faire des réprimandes, mais gardez vos remarques sexistes.
- Ce n’en était pas une, je vous l’assure. Toujours est-il que le peu de mobilier qu’on me cède entrera parfaitement chez elle. Par ailleurs, c’est le jour du renouvellement de bail, le proprio sera là. Et elle a insisté pour que j’en sois le détenteur. Une nouvelle vie commence, Joséphine. Je suis nerveux.
«C’est vrai poursuivit Joséphine, il avait l’air nerveux mais aussi terriblement heureux. Il y croyait dur comme fer à cette femme. C’était la destinée qu’il avait manqué dix ans plus tôt. A côte de sa beauté naturelle il avait enfin su entrevoir ses talents, sa fantaisie, son originalité. Il voulait cette femme c’était certain. Et il y croyait».

- Vous avez perdu. Vous m’offrez la tournée?
Gold-Leaf m’avait parlé. Je continuai à regarder l’agencement des rectangles blancs alors qu’il se levait et s’approchait du comptoir.
- Dans de beaux draps votre Bernard on dirait. Commenta Golf-Leaf en grattant une allumette.
Je me levais et le suivi. Joséphine me regarda.
- Servez-nous deux kirs s’il vous plaît, lui dis-je.
Gold-Leaf me tapa sur l’épaule, sur quoi je sursautais et le regardais avec surprise.
- Allez, ne soyez pas en colère. Prenons nos verres et attaquons une seconde manche. Le domino, c’est un jeu de chance rien de plus.
- Je vous rassure, je ne suis pas en colère dis-je en cognant mon verre contre le sien.

Joséphine rangea la bouteille de cassis et le vin et poursuivit:
«Le jour où Monica est apparu devant moi, c’était bien avant le déménagement. J’eus la surprise de constater que je la connaissais. Pas personnellement cela va de soi mais j’entends par là que ce n’était pas la première fois qu’elle entrait dans mon bar. C’était un jour où elle avait attendu Bernard devant la porte de son immeuble. Elle était suffisamment folle amoureuse pour l’attendre à son domicile au risque de provoquer une rencontre avec Petra. Il avait du retard. Elle était alors entrée chez moi, je veux dire, au café, dont Bernard lui avait parlé maintes fois. Elle était venue directement au comptoir et m’avait demandé pour Bernard. Je lui avais répondu que je ne savais pas, ce qui était vrai et elle était repartie aussi sec. C’est là que je l’ai reconnue. Oh! Cela ne va pas vous surprendre: elle avait été une de mes auditrices. Pas très fidèle certes mais je me souvenais de sa présence lors d’un de ces après-midi pluvieux. Elle était restée jusqu’à la fin. La semaine suivante, jour pour jour, elle était entrée, s’était assise à une table, avait commandé un café double et avait sorti un petit carnet et une plume. Une plume moderne bien sûr. Au bout d’une heure elle s’en était allée. Elle avait commencé à griffonner quelques phrases sur son carnet puis voyant que rien ne se passait dans la salle, elle avait ouvert son agenda. Elle avait l’air d’y mettre de l’ordre. Une annotation par-ci, une annotation par-là. Puis, elle avait quitté la salle l’air maussade. Après, plus rien, je l’avais juste revu ce jour où elle était entrée pour demander si je savais où était Bernard.

Costard-Cravate leva le nez de la grille sur laquelle il planchait assidûment:
- Dans de beaux draps? Pourquoi donc? Ne cherchez pas Joséphine, si vous ne le revoyez pas votre Bernard, c’est parce qu’il coule des jours heureux avec sa Dulcinée, l’amour-de-sa-vie, ici ou ailleurs. On peut dire que cette Monica, elle a su le séduire comme il faut. Il a certainement d’autres enfants, part en week-end dans la baie de Sommes avec eux et les fils de sa première liaison. Une famille recomposée on appelle ça, n’est-ce pas? Il ne vient plus dans le quartier parce qu’il représente son ancienne vie et qu’il a fait une croix dessus. Ne cherchez pas midi à quatorze heures, Joséphine. Ils ont acheté un monospace et des lits en bois pour les nouveaux-nés… Elle est bien banale votre histoire.

Il avait l’air d’en connaître un rayon notre Costard-Cravate. Mais Joséphine secouait lentement la tête en même temps que ce dernier fabulait sur la nouvelle vie de Bernard:
- Non, non. C’est vous qui vous égarez Monsieur. Voici la dernière lettre que Bernard reçu de Monica quelques mois après l’emménagement. Sa chère et tendre avait repris le vous pour s’adresser à Bernard dans un soucis d’augmenter la solennité des propos. On ne sais pas.

Cher Bernard,
Aviez-vous donc oublié? Avez-vous donc oublié ce jour où vous avez fait tourment à mon âme, à mon cœur, à ma conscience toute entière? Cette nuit au bord du lac, lieu que vous avez investi pour semer en moi le poison de la passion? Avez-vous oublié cette époque où je n’étais qu’une simple étudiante sur les bancs d’un amphithéâtre assistant à vos oraisons sur le droit du travail?
A cette époque, j’étais en relation avec un homme dont évidemment j’ai perdu la trace aujourd’hui. Mon jeune âge, mon absence d’expérience m’empêchaient de goûter (me préservaient?) aux passions volubiles qu’apportent les aventures d’un soir. Vous vouliez boire un dernier verre en ville après le dîner chez vos amis. Tout était fermé et vous avez opté pour une escapade au bord du lac. Sans savoir comment ni pourquoi je vous ai suivi pensant que nous poursuivrons nos conversations au clair de lune tant la vie m’avait faite innocente jusque-là. Nous nous sommes assis sur la rive de sable. C’est là que, surprise, je discernais en moi un désir. Un désir né du bord de mes lèvres que vous preniez d’assaut dans la pénombre. Un désir qui apparût en miroir du votre.
Rapidement vous l’avez su, vous l’avez senti et cette perception armait vos empressements que je repoussais avec tant de difficultés. Oui, je voulais! Mon corps criait son envie d’abandon. Rappelez-vous nos instants de lutte. C’est que ma raison exerçait son emprise, m’inviter à jauger la douleur et le remords qui m’attendraient au petit matin après la folle nuit que me promettait votre compagnie. Mesurez donc. Ce remords n’aurait pas eu pour seule source l’infidélité que j’aurai causée à mon homme. Il aurait coulé d’une trahison bien plus cruelle encore. Ma plus fidèle amie, ma sœur spirituelle, cette personne qui a comblé la case manquante de ma fratrie, Mélanie. Vous souvenez-vous? Elle avait été éperdument amoureuse de vous et à l’heure de cette fameuse nuit, elle nourrissait encore une passion secrète pour vous, un intérêt qu’elle tentait courageusement de chasser tant le peu de cas que vous faisiez de sa personne la rendait lucide. Elle vous avait aimé, vous aimait encore à l’heure où votre poitrine se serrait contre la mienne. Elle vous avait confié cet amour et vous l’aviez rejeté. Sans mépris certes mais qu’y a-t-il de plus odieux que le refus simple, pragmatique de la part de quelqu’un que l’on chéri comme sa propre chair. Ne dit-on pas que l’indifférence est un affront bien supérieur au mépris?
Je pensais à tout cela alors que j’étais pressée par vos baisers que je trouvais délicieux, par vos étreintes qui ravissaient mon cœur. Ma chair glissait peu à peu dans ces brumes sensuelles mais ma raison martelait mon esprit, le priait de laisser allumer une flamme de lucidité pour ne point donner rendez-vous avec ce monstrueux sentiment de culpabilité qui m’attendrait le lendemain de nos ébats. Culpabilité d’être une femme infidèle, culpabilité d’avoir possédé le cœur d’un homme aimé par son amie de toujours. Double trahison. Double crime.
Comme vous le savez, ma raison a gagné le combat. Voyez-vous, j’ai grandi avec le sentiment d’honneur et de loyauté, valeurs modèles auxquelles je pensais ne jamais renoncer. Sans doute ai-je été, dans une vie antérieure une de ces femmes romantiques. Mais laissons de côté ces considérations ésotériques, je sais que vous les abhorrez.
J’étais bel et bien satisfaite d’avoir obéi à ma raison. Cependant, je me rendis compte rapidement que le désir était toujours là. Vacillant dans les profondeurs de ma chair, il vivait encore. Je pensai qu’il serait mort une fois le crépuscule apparu et votre corps disparu de ma vue. C’était une erreur. Voilà ce que je me suis soudain mise à penser. Ce soir d’été naissant, j’aurais pu tourné le dos à la sagesse et passer une nuit de soupirs et d’exaltation. J’aurais pu connaître ce sentiment de liberté qui vous envahi quand la raison qui importune votre esprit se dissipe subitement. Et me laisser vaincre finalement eût été équivalent à chanter l’Ave Maria en solo dans la basilique Saint Pierre. Au lieu de soupirer dans le souvenir de l’exaltation, je me retrouvais avec la lourde tâche de tuer ce désir que les ères fougueux comme vous insufflent aux jeunes filles encore inexpérimentées sur les choses de l’amour.
Il a mis bien du temps à disparaître ce désir. Il m’importunait à n’importe quelle heure, pendant les réunions, il s’installait dans nos draps entre mon homme et moi mais bien sûr j’étais seule à connaître sa présence. Sans trêve, je pensais à vous, à votre intention et votre combat pour me posséder cette nuit-là. Dans la journée je fermais les yeux pour mieux vous imaginer et construire le scénario que j’avais manqué. Je me sentais infidèle chaque seconde et pourtant je m’entreprenais à vivre en rêve cette passion faisant travailler mon imagination pour qu’elle soit différente à chaque levée du rideau. Dans le passé, j’avais mené un combat pour vous résister, au quotidien j’en menais un autre depuis les profondeurs de l’enfer. Jamais ne sont présentées des occasions similaires à celle de la nuit du lac. Je n’avais que mon souvenir pour me haïr et vous aimé un instant comme vous l’aviez souhaité.
Aujourd’hui j’ai voulu me venger de ces hommes, des hommes comme vous Bernard qui jouent avec le cœur des jeunes filles en fleur. A chaque étape de la vie ses faiblesses. Les jeunes filles sont fragiles face aux empressements des hommes. Les hommes mûrs quant à eux sont vulnérables lorsqu’ils sont installés dans une vie de couple. Ils ont besoin de la stabilité de la famille mais sont assaillis de doutes quand se présente une nouvelle femme qui leur plaît. Cher Bernard, vous n’avez pas échappé à ce dilemme, j’en ris diaboliquement tant il fut facile de vous piéger. Vous n’avez pas beaucoup réfléchi: la stabilité de la famille contre l’amour-passion. Le dernier l’a emporté haut la main. Vous voilà face à votre vie, face à vos choix Bernard. N’essayez pas de me chercher, de me retrouver, il en serait vain. Je disparais. Pour votre malheur. Pour votre bonheur. Vous déciderez.
Adieu.
Monica

Joséphine avait terminé la lecture. Tout le monde était resté silencieux comme si l’on venait d’achever la représentation d’une pièce de théâtre. Immobiles, nous attendions la tombée du rideau. Gold-Leaf rangea dans sa boîte les dominos. Je rassemblai dans mon sac les différents éléments qui étaient étalés sur le comptoir. Pas grand chose en fait. Le briquet de Gold-Leaf que je comptais usurper et puis un sous-bock de la marque stella artois: La bière qui donne du relief à notre plat pays.
- Celui-là, Joséphine, il date pas d’aujourd’hui dis-je en lui brandissant la rondelle de carton. Puis je le fourguais dans mon sac.
J’avais l’impression qu’une vague d’applaudissement allait déferler dans la salle. Pas à cause de ce que je venais de dire. Vous vous en doutez. Mais parce que l’histoire de Joséphine venait de prendre fin. Costard-Cravate ramassa sa sacoche qui était resté sur la table au soliflore d’où dépassait une tulipe en plastique. «Quel con!» Je l’entendis murmurer. Quel con, quel con, quel con! Ce chapelet de deux mots l’accompagna jusqu’à ce qu’il eut franchi la porte.

Il faisait nuit quand je sortis du bar de Joséphine. Gold-Leaf me serra la main. Il partit dans l’autre sens. «Sans rancune» me dit-il en me lançant un clin d’œil malicieux. «A bientôt pour la revanche, j’espère». «Je l’espère aussi» lui répondis-je. En descendant la rue de la Grange aux Belles, je consultai ma montre. Presque six heures. Il tombait une fine pluie. J’entrepris de rentrer à pieds. Au moins jusqu’à la Gare de l’Est en longeant le canal Saint Martin. Des crêpes congelées à la béchamel et aux champignons m’attendaient dans le congélateur. Ou peut-être ce couscous aux légumes déshydratés. Il suffisait juste de rajouter de l’eau chaude et le plat était prêt. J’aurai le temps d’éclaircir mes idées durant ma marche méditant aussi sur le conte de cette pauvre Joséphine. Elle avait pris partie. C’était son droit après tout. Elle pleurait secrètement sur le sors de Bernard qu’elle n’avait pas revu depuis longtemps. Bernard qui devait crever d’ennui quelque part seul dans un studio parisien. Mais surtout, je crois qu’elle souffrait de son absence plus que de son destin.
Une chose était sûre: je ne regrettais rien.

FIN