Monday, March 29, 2010

L'ACCIDENT

Au détour d’un virage, la route goudronnée devient de plus en plus raide, quasi verticale. Ce n’est plus possible. Au volant de ma 206 blanche j’appuie à fond sur l’accélérateur pour “coller” au bitume. J’ai l’impression que la route va se retourner sur moi. Soudain ça se calme. Mais j’ai pris trop de vitesse et je vole dans le décor. J’ai cependant le temps de m’éjecter de mon siège conducteur. La voiture part toute seule. Je crois qu’elle va faire plusieurs tonneaux mais, quand je me relève de ma chute –je suis tombée agilement, je n’ai rien, pas une égratignure- je m’aperçois qu’elle s’est logée au sommet d’un arbre feuillu. Elle est là comme un oiseau posé sur sa branche. Inaccessible mais sans cabossage elle non plus.
Un attroupement s’est formé à l’endroit où la voiture a déchaussé. Coup du destin, il y a un garage auto juste là. Mais il faut attendre l’arrivée de la police. Un type dit qu’elle est prévenue mais qu’elle n’arrivera pas avant une heure. Les délais sont très longs. C’est comme ça mais pourvu qu’elle vienne, c’est ça qui compte. Pendant ce temps, je raconte comment je me suis sauvée en sautant par la portière avant que la voiture ne quitte la route.
La perspective d’attendre ne m’enchante pas mais je suis obligée ne serait-ce que pour faire le constat. Plus tard, bien plus tard. Deux types arrivent, en civil, et se présentent comme “les policiers”. Ils annoncent un tarif pour faire le job. Ils se font payés à l’heure. Je m’assois en pensant que plus vite ils feront, moins j’aurai de frais. Cependant, ils entament une expertise en ayant soin d’aller le plus lentement possible. D’ici là, je me réveille.

Saturday, March 20, 2010

COSMO POLIGHT

Un jour, j’allais éteindre la radio et puis ils se sont mis à parler d’Ulysse. J’ai stoppé net la pression de mon doigt sur le bouton. J’ai failli le manquer. Le bonheur c’est un peu ça aussi. Quand on rattrape de justesse ce qui est sur le point de tomber. Alors on part vivre des aventures. Alors on a peur à l’approche du cyclope. Et quand on retourne à Itaque, on n’est plus le même. On a changé. C’est une nouvelle ère qui commence.

Je suis seule ce soir. J’ouvre le livre de Depardon. C’est Paris. 533 Paris. Du début à la fin. De 1977 à 2004. La première fois que j’ai regardé les photos, j’ai pas vraiment prêté attention aux photos elles-mêmes. Je regardais en détail les personnes qui étaient prises dans le champ, persuadée que je trouverais une connaissance dans les quelques centaines de clichés. Et là?! Ce serait pas machin par hasard? Ah non, c’est pas elle/lui.

De l’eau a coulé sous les ponts. Sous les ponts de Paris aussi. O voyages. Merveilleux voyages. Journaux. O satanés journaux. Je me questionne parfois sur les professions associées aux voyages.

Vous voulez être photographe? On vous demandera de traquer les femmes en burqua, en tchador. Mais pas ici. Ailleurs. Non pas ailleurs. AILLEURS. Et des enfants, des enfants par milliers. Des enfants pauvres cela va de soi. “Ils sont pauvres, ils ont le ventre creux mais qu’est-ce qu’ils sont beaux!” ET des paysages. Des paysages lunaires que vous aurez pris soin de traverser en 4 x 4. Tout cela compilé dans des livres élégants offerts au feuilletage dans les rayons, sur les étalages des librairies. Si tous les enfants du monde voulaient bien...

Vous voulez être écrivains? Femmes, on vous demandera d’écrire sur des bébés morts. De vous transformer en truie. En pute, en égérie. D’écrire des petits livres sous la forme de romans. Des trucs que l’on lit facilement, dans le métro où à l’arrêt de bus, qui vous font trébucher sur la marche ou louper la station. Hommes, on vous dira d’écrire des lignes ésotériques, d’évoquer la mort, de jouer avec elle, de montrer qu’on peut y aller et revenir. On vous demandera de discourir sur le prix minimum.

Photographe, écrivains. C’est comme n’importe quel boulot. Faut-il répondre aux commandes? On le fait. On voudrait pourtant être libre.

De Paris à Itaque, en passant par votre île, on vous demandera de faire dans la dentelle. On vous demandera de séduire le Blanc, de lui offrir des horizons, de le divertir, de lui faire croire à sa bonne conscience, de lui dire qu’elle est utile, qu’il se sente instruit, intellectuel, pensant, agile dans son analyse.

On vous demandera. Et vous ferez.

Je hais les voyages et les explorateurs

Claude Lévi-Strauss