Sunday, February 26, 2012

old letter (1)


Lettre à mon grand père

Jamais envoyée

Lundi 24 février 2005

Il pourrait me rester les yeux pour pleurer mais par bonheur il demeure aussi en moi la force d’écrire. De t’écrire. T’écrire des mots que tu ne liras jamais. Tiens! d’autres diront, c’est bien dans son habitude cela: s’adresser à des gens sans leur offrir l’opportunité de lire. Un bougeoir est allumé et le silence règne autour de moi. On entend le vent soulever les rideaux dans l’arrière cuisine et aussi des voix résonnent dans la cage d’escalier. C’est lundi et Jean est entre la vie et la mort. Je l’imagine calme dans l’attente. Oui, c’est ainsi que je le perçois. Car une fois que le corps se déglingue, que lui reste-t-il sinon ce calme muet, son âme tranquille flottant autour des tuyaux et du bip des machines. Des traits clairs, verts, lumineux sillonnent un écran noir, témoins du calme. J’aurais aimé te poser encore mille questions, des questions que j’ai consigné dans mes carnets. Qui sait? Peut-être que tu m’offriras le temps de te les formuler. Car après tout, on ne sait pas, on ne peut jamais savoir. Même si les espoirs sont bien maigres, ils existent et font qu’on s’en retourne bien vite à ce que l’on a manqué. Vite, vite, des fois qu’on pourrait les sauver, ces instants manqués qui maintenant se font la malle à la vitesse grand V. Quelle est ta vitesse à toi? Croisière? Déjà tu vogues bien tranquille, cap sur l’éternité. Tu as mis le cap mais je veille sur cette trajectoire au cas où… tu changerais pas par hasard? Virement de bord, marche arrière. C’était une fausse route. Ce serait bien ta première déroute. Est-ce que je n’idéalise pas un peu? Cher Mohaï, je sais que tu sais après tout, que tu sais combien vous avez compté Marie-Lou et toi. Je sais que tu sais et je sais qu’elle sait. Et c’était pas la peine de se le dire avec des mots. Cela aurait été grossier de se le dire, n’est-ce pas? Cela aurait été comme filer un grand coup de sabre dans cette dans l’intimité.

He! Reste un peu, un tout petit peu. Je te le demande comme je l’avais demandé à Marie-Lou. Elle m’avait entendue. Et toi? M’entendras-tu? Et s’il n’en est pas ainsi, alors au diable les espoirs. Que ta volonté soit faite cher Mohaï comme tu as toujours su la mettre à l’épreuve dans ta vie. Un Mohaï, c’est bien ce que tu es et je fais le vœux de pouvoir un jour déposer une petite fleur au pied de ces statues si lointaines dressées de l’autre côté de la planète pour honorer ta mémoire. Ton histoire, à l’image de ces colosses de pierre n’a jamais vu faillir tes principes et tes lois. A disposition je n’ai que cette petite bougie pour marquer ta présence. Et c’est elle qui m’éclaire comme m’ont éclairé tes mille réflexions sur le monde. Celui qui pleure, pleure et ne construit pas. Je préfère ce silence qui m’accompagne que n’importe quelle présence qui malmènerait mes émotions si fragiles à cette heure. Pleurer pour qui? Pour quoi? C’est heureux qu’il faut être quand on a en face de soi des vies comme celle du Mohaï.

Je regarde la carte du monde. Merde! Ce sera pas une maigre aventure que d’aller déposer une brindille, une broutille à 5000 km au large des côtes du Chili. Ce sera pas de la tarte. Vrai de vrai. Mais puisque l’on court toujours après quelque chose, puisque telle est la condition humaine, voilà de quoi m’occuper pendant plusieurs années. Je m’embarque, je sais pas quand je reviendrai mais une chose est sûre, quand je reviendrai je n’aurai pas l’âme plus satisfaite, j’aurai juste la sensation, éphémère, d’être moi-même.

Tuesday, February 14, 2012

Excercices de style

Écrire une lettre, raconter une histoire, relater un fait, peu importe le fond, la matière. Nul ne l’ignore on peut le faire de différentes façons. Dans cette optique, à la manière de Queneau, j’ai soumis ma plume à des exercices. La trame étant la suivante:

La narratrice, exilée en Espagne, fait appel à un ami de longue date pour se procurer la substance clé nécessaire à la réalisation d’un «space cake». En prologue à cette requête apparaissent quelques épisodes radieux de la nuit madrilène en compagnie de ses copines du moment et la lettre se termine sur le commentaire d’une œuvre personnelle réalisée avec des images Poulain. La narration se fait sur deux modes antipodaux.

Romantique

Cher ami,

J'ai rompu hélas avec la formule "escapade en basse montagne" faute de compagnon de route et me suis repliée, ce qui n'est non moins à mon goût, sur les "street party" avec mes amies, celles que vous avez eues la joie de rencontrer au cours de votre visite: Deborah la muse, Noeke la mystérieuse hollandaise, Jessica et Karine, son amie de toujours. Nous nous sommes ragaillardies autour de ce que la gente populaire nomme ici "tinto de verano" dans une taverne irlandaise puis à la terrasse d'un de ces cafés si insignifiant en janvier mais tant prisé par les badauds à l'heure des fêtes de la Sainte Vierge. Il n'en fit aucun tourment à nos estomacs déjà adaptés aux consommations journalières qu'une âme à la raison aiguisée qualifierait d"excessive.

Au contraire, il en résulta plutôt quelques émulations de nos esprits: des projets culinaires dont nous dessinions les plans le dimanche après-midi suivant autour de la piscine. Nos draps de bains étalés sur les dalles, tantôt nous chauffant allongées dans nos maillots de bain, tantôt nous soulageant de la chaleur dans l'eau fraîche du bassin, nous échangions nos connaissances afin d'élaborer un dessert de "Maria" (elle est très à l'honneur au mois d'août). Après de multiples concertations, il apparût clair qu'un mélange de beurre et de sommités résineuses devait entrer dans la composition pour obtenir un «space cake» des plus savoureux et nous assurer des délices euphorisants.

La "Maria" étant l'ingrédient difficile à trouver ici, il serait bienveillant de votre part de nous expédier par colporteur postal une enveloppe fournie contenant un échantillon de la production du Domaine. Bien sûr cette requête ne demande à être examinée dans la seule mesure où elle n'entamerait en rien votre réserve personnelle et où elle respecterait en tout point votre morale si soigneusement éduquée. Si vous sentiez venir un refus spontané, ne laissez point votre esprit en trouver les raisons. Je ne souhaiterais pour rien au monde être l'objet de sentiments outrés de votre part. Dîtes seulement non et l'affaire sera close.

A cette épître, je joints une composition d'images "Poulain" dont j'avais constitué une collection dans ma jeunesse. Il semble, comme le sait notre cher confrère, que les poulains aient marqués notre génération à l'instar des chocs pétroliers, des prothèses en silicone, des disques compacts et de la conquête de l'espace dont vous pourrez admirer les illustrations. J'ai choisi des feuilles transparentes comme cadre afin de laisser libre l'accès à la lecture des annotations relatives aux images évoquant la décennie 1970 qu'il appartient à chacun de connaître.


Junky

Salut!

Terminées les virées dans la Sierra le week-end. Je les ai troquées contre les débandades nocturnes avec mes grues favorites que tu connais déjà: Deborah, Noeke, la Lauradernesque Jessica et sa copine des balloches.

On a attaqué par cette mixture de boit-sans-soif, succédané de la sangria, dans un bar à la con trop connement irish puis on s'est casé le cul dans des chaises en plastique vert sur le pavé crasseux d'une place à Chueca en prenant une rallonge de ce breuvage vomitif. C'était autour du 15 août et bon, je peux te dire que ces espagnols -et nous aussi du reste- y manquent pas une occaze pour se laver les tripailles. D'ailleurs je m'étonne que les miennes de tripes aient pas encore lâcher. Bien mieux, nos excès alcooliques se sont traduits par une fermentation d'idées, et cela, pas seulement dans ma minable cervelle mais également dans celles de mes consœurs.

Ces courses de l'esprit, nous leur faisions faire des pointes le jour du seigneur suivant, réunies cette fois autour de la piscine. Toutes bikinisées que nous étions lors de ce conciliabule sur serviettes de plage, il était question de comment se tailler une recette avec de l'herbe, "la Maria" comment ils l'appellent si joliment (n'oublie pas c'était autour du 15 août). Alors paraît que pour faire un bon «space cake» il faut la mélanger avec du beurre et donc un truc style fondant au chocolat ou brownies devrait faire l'affaire.

La seule couille c'est que de la bonne herbe, on sait pas où en trouver ici et on va pas se la jouer comme notre vieux compadre à ratisser la ville pour trouver un fournisseur. Aussi le plus pratique serait que tu nous fasses grâce (ah! qu'elle est bonne!) de quelques têtes si t'en as ramené de Campanile-city et si t'en as assez of course. Bon, je connais aussi ta ligne protestante très marquée ces derniers temps et te vois bien capable de t'étrangler, en lisant ma demande. Alors si t'es pas d'accord c'est non et puis on oublie le deal, d'ac?

Pour finir je t'envoie le résultat d'un happening, confectionné avec des vignettes Poulain dont j'avais une sorte de calamiteuse lubie autour de l'âge ingrat (ingrat!) ou après, je sais plus. Nous sommes plus d'un –notre vieux compadre étant à ma connaissance le pionnier- à faire aujourd'hui l'exploitation artistique des poulains et ceci m'incite à placer la révolution du chocolat en poudre au même rang que la crise des hydrocarbures, l'apparition des galettes CD, des nibards siliconés ou que la conquête spatiale ("on a marché dans la blanche!" (Louis A.)). Réuni sur la planche transparente, le tout constitue une sorte de Nota Bene de la génération 70 dont tu pourras rafraîchir ta mémoire à l'occaze (n'oublie pas de lire le verso qui donne toute son importance à l'œuvre).