Dans une salle d’embarquement s’engage un dialogue forcé entre deux personnages. Leurs patronymes sont disgracieux mais l’étymologie est étudiée. Il s’agit d’un discours sur l’ennemi intérieur, d’une allégorie du diable. L’existence de ce mal en soi, symbolisé par le diable nous accule à ne plus croire en Dieu. Le diable se manifeste par le désir soudain d’ingérer de la bouffe pour chat à pleine poignée et d’en éprouver une répugnante satisfaction. Cet ennemi est aussi extérieur, l’autrui qui dérange.
La prise de conscience de cet ennemi rend mauvais. La résultante en est un désir de pourrissement de la vie des autres. D’autant plus qu’ils sont déjà malades. Les rendre encore plus malades pour leur apporter la guérison.
Comment l’ennemi T, sait que J, la victime est malade? T laisse penser qu’il connaît le passé de J. S’en suit une scène de lutte pour ne point écouter les monologues de l’ennemi. Torturée, la victime se bouche fortement les oreilles. Douleur insupportable, la victime est obligée de céder. L’ennemi expose sa stratégie: détériorer la vie d’autrui de manière légale, en le saoulant de paroles. L’ennemi raconte sa vie: l’irrévocable auto-culpabilité.
Enchaînement sur l’amour. Classique, l’ennemi a aimé une femme au premier coup d’œil mais ayant un physique disgracieux, il savait d’emblée que la conquête était impossible. Trouvant cela injuste, il la possède par le mal. On dénote ici une analyse psychologique de l’ennemi. C’est dans le manque d’amour que se trouve la genèse de la cruauté chez l’individu.
La femme que cet ennemi a convoité puis tué n’était autre que celle de la victime. La victime le devine elle-même. Rebondissement. En même temps la victime J comprend qu’elle n’a pas été choisie au hasard. Le motif de l’ennemi se fait plus précis: il veut être tué par sa victime. Cette dernière s’oppose évidemment à un tel dénouement.
Cette situation nous pose inévitablement devant le débat suivant: pourquoi refuse-t-on de rendre justice à la personne que l’on a aimé. Lâcheté? Morale? Penser qu’un autre recours est possible? Est-on sûr d’avoir l’assassin en face de soi?… La victime en vient à demander les preuves du crime. La situation se retourne, les rôles s’inversent. L’ennemi et la victime se révèlent n’être qu’un seul et même personnage qui finit par mourir dans un acte de folie sanglant.
Sous la forme d’un dialogue entre un ennemi et sa victime, dans le huis clos d’une salle d’embarquement où les passagers attendent un vol désespérément retardé, Amélie Nothomb explore une universelle question: la partie abjecte de soi et la relation que l’on entretient avec elle. A l’orée du roman ils sont deux personnages qui termineront fusionnés dans un seul et même être au terme d’une résistance féroce. Sa conclusion dépasse ce que nous voulons entendre, l’ennemi le plus radical qui nous poursuit n’est autre que nous même. Ce roman n’est autre que la démonstration sans équivoque de cet axiome déconcertant: nous couvons notre propre ennemi.
No comments:
Post a Comment