«Qui tu es. D’où tu
viens. Où tu vas. C’est pourquoi il avait rejoint à quinze ans le camps des
déshérités de ce monde. Il pensait à elle bien sûr. A chaque instant. Le matin,
le soir. Habillée et nue. Chaussées et pieds nus, installée dans le canapé,
portant un pull qui lui descendait jusqu’aux cuisses, des photographies
éparpillées sur ses genoux, sans maquillage, avec cet air sexuel et indolent du
réveil qui le rendait fou. Il pensait à tout cela en passant sous l’étoile du
Berger suspendue sur le boulevard des Capucines, se regardant au passage dans
les vitrines des pâtisseries remplies de pâtes d’amande décorées de la cocarde
tricolore et de marrons confits. Il voyait les boutiques ornées de gui, les
carrioles ambulantes recouvertes de poinsettias, et il voulait mourir. Les
épaules relevées, les mains enfoncées dans ses poches. Il lui semblait qu’il
faisait plus froid encore que pendant les hivers glaciaux de Hongrie, il
portait deux paires de chaussettes et un trois-quarts doublé d’agneau, mais
cela ne servait à rien, il mourait de froid. Il allait le cœur glacé, furieux
contre lui-même, jurant comme un impie, la démarche erratique, maladroite, au
milieu des gens qui venaient en sens inverse les bras chargés de paquets. Il
éprouvait une colère aveugle contre le monde. Plusieurs fois, il rendit une
bousculade involontaire sans s’excuser et, devant l’air indigné d’un passant,
se contenta de donner un coup de pied dans le trottoir.
En attendant Robert Capa.
Susana Fortes
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