Sunday, September 28, 2014

LOST IN CREATION


                Un jour proche de Noël, j’étais dans une voiture, une BMW, qui nous ramenait à Madrid. On venait de faire le sacro-saint banquet prénatal avec les collègues du boulot. Il y avait des travaux sur les voies nous obligeant à prendre une déviation. C’est là que pour la première fois est apparu le nom de cette ville, sur un panneau crème, en lettres bleu nuit: Brunete. Gerda Taro y fût écrasée par un char. Ayant troqué son nom à la consonance chlorophyllesque pour le commun désignant le tas que l’on tire quand on veut lire dans le futur, elle était devenue photographe d’avant garde, reporter number one dans la gente féminine, preneuse de risque et pas donneuse de leçons, amoureuse d’une roc dont elle restera dans l’ombre. Car l’amour ne se commande pas. En tout cas pas pour ces femmes dont les vêtements sont taillés dans l’humanité et les objectifs oxydés par le courage.
                Ce n’est pas elle qu’on connaît le plus. Mais bien l’auteur de «Mort d’un soldat républicain». Et pourtant. Qui pourrait douter qu’une de ses plus éminentes photos, une photo de Gerda j’entends, n’a pas inspiré le logo d’une célèbre série américaine des années 1970? Voilà comment la moissonneuse du marketing télévisuel fauche les idées de celles et ceux qui ont fait l’histoire en se coltinant les témoignages argentiques du cœur de la guerre. Non seulement elle fauche mais elle nous ferait presque nous demander mais quelle est donc cette dame vintage qui prend la pose des anges de Charlie? Une milicienne s’entraînant au combat sur une plage de Barcelone vers la fin des années 30 vous répondrait une voix off sortie des archives. Mais cette voix off ne parvient qu’aux érudits. Que reste-t-il à ceux dont la mémoire commence à l’ère des tubes cathodiques et des chemises dont les cols évoquent des instruments de pâtisseries? Leurs yeux pour voir la vie en longues mèches moelleusement roulées dans les bigoudis et leurs oreilles pour balancer l’os iliaque au rythme du disco. L’ignorance est une faute clamait Kundera. Et la piraterie une mode qui ne s’altère pas.

Saturday, March 01, 2014

LUBIE LITTERAIRE


Découvert sur Tracks un soir de justement surfage sans but précis sur la toile, John Perry m’a paru d’emblée bien sympathique. Il expliquait ses performances récentes en matière de taillage de crayon. L’épreuve consistait à rassembler des crayons à papier et à les aiguiser jusqu’à l’obtention d’une mine potable et cela en un temps records. Quel intérêt me direz-vous donc? J’y viens. On a toujours certainement mieux à faire surtout quand on est staff member en philosophie d’une université californienne comme le sieur Perry. Mieux à faire que de tailler des crayons et d’y mettre un soin minutieux. La question arrive sur un tapis (volant?). Pourquoi aurait-on mieux à faire? Pourquoi on remettrait pas à demain ce qu’il est urgent de faire à l’instant t0? La procrastination est née. Vous avez un truc important à faire. Ne le faites pas. Faites le demain voire mieux: attendez que quelqu’un le fasse à votre place.
                Mais alors, quoi. Si vous faites pas les choses que vous êtes sensé faire, qu’allez-vous donc faire à la place? L’art du glandage ouvre ses ailes. Le grand art au plumage rare, à l’envergure démesurée. Il vole sur vos têtes. Quel est donc ce serpent qui siffle. Glander. Rester au lit jusqu’à midi. En pyjama jusqu’à 14h. Prendre un bouquin. Le reposer. Ouvrir You Tube. Le laisser allumer. Regarder des vidéos de chats, les clips des années 80, ceux qu’on ne voyait à l’époque que sur MTV. Ou encore des breaks INA: des passages TV d’Iggy Pop avec Mourousi (merci L), des coups de gueule de chanteurs, des vidéos de cuisine, des cérémonies des césars anciennes, 1993 l’année où les nuits fauves sont passées en force dans le sang contaminé. Alterner tout ça avec bien sûr l’envoi de sms, de photos sur instagram ou whasapp et des messages sur fb. Zut il est 17h. Réchauffer une pizza et c’est reparti pour coller avec de la super glue des objets inutiles tombés des étagères ou pour enfiler des perles que l’on a récupéré une à une sur le carrelage d’un collier bas de gamme mais auquel on tient.
                Avec ce que nous a légué un demi siècle de société de consommation, nous avons de quoi procrastiner jusqu’à la fin des temps, jusqu’à ce que le hasard et la nécessité remballent leurs clics et leurs clacs.
                Je prends le pli, je signe la charte, je deviens membre par un bel après midi de temps de chiotte où le terrier d’une maison du Léon fera office de ligne de départ. Pan! Mais avant, l’envie me titille de bloguer un p’tit coup. La résolution est prise. Deux théières, un paquet de cracottes et un kilo de noix plus tard, j’y suis encore. Je ne peux me décider à écrire avant de résoudre l’équation complexe à trois inconnues: quelle couverture de lit pour quel matelas et dans quel chambre?
                Une vocation est peut-être née.