Friday, September 28, 2012

CAUCHEMAR SOUS LARIAM (3)


A Carbonne, 2002


                J’ai pensé à la création d’un nouveau prix littéraire: le prix du cauchemar. J’ai pensé à la création de ce prix parce que forcément, s’il existait et que je me présentais, je gagnerais.
                Dans celui-ci la maison était attaquée par un commando. On venait tout juste de repérer des personnes, mitraillettes au bras, postées sur le toit de la maison. Sans savoir ce qu’elles faisaient là, on les observait depuis la véranda, le seul endroit de la maison où l’on avait une vue panoramique sur le toit. Un membre du groupe, du nôtre, le seul armé, décidait de sortir et de rejoindre ces envahisseurs sur le toit pour tenter des pourparlers. Il planait au sein de la famille un sentiment d’épuisement et de lutte inutile. En gros, on comprenait que c’était la fin de tout. On se sentait comme des fugitifs subitement serrés par leurs poursuiveurs. Le commando pénétrait dans la maison et commençait à investir les lieux, occupant toutes les pièces. Sans tenir compte de nous, ils prenaient possession. Mais jusque là ils ne nous maltraitaient pas. J’étais la seule à être au courant de leur intention. J’en déduis que j’étais la personne qui avait tenté les pourparlers avec les envahisseurs sur le toit et que donc j’étais armée. C’est que le subconscient il te dit pas tout dans tes rêves, il te balance des personnages et ensuite il te donne des pistes pour que tu recolles les morceaux, histoire de voir si tu suis. C’est un exercice difficile auquel peu de gens se prêtent s’abritant souvent avec des «je ne me rappelle pas…». Mais ce n’est pas une épreuve du bac ni pour entrer en école d’ingénieur donc on s’en fou.
                Le commando avait envahit donc. Il fallait leur préparer la bouffe, les lits, etc… Les autres pensaient que c’était un simple squat, moi je savais que c’était une expropriation forcée.
                J’étais la seule de la famille à connaître le destin réel qui nous était réservé. C’est dire, les autres croyaient que nous avions des hôtes passagers, armés. J’essayais donc de traiter nos futurs tortionnaires comme des hôtes quelconques et eux en retour se comportaient courtoisement mais non sans afficher une supériorité.
                Le malaise est venu quand une femme du commando à commencer à faire des plans en disant que lorsque la maison serait rasée, elle établirait un carré de jardin ici-même. Toute la famille s’est regardée sans rien comprendre.
                Alors j’ai pris la femme du commando à part en lui disant «ok, vous aurez ce que vous voulez mais je me charge moi même d’annoncer le destin qui nous attend à ma famille»
                Peu à peu, nous nous sentions prisonniers, pris au piège dans un huit clos et la mort semblait notre seule issue. Nous serions battus car nous ne pouvions nous défendre et nous ne pouvions nous défendre car nous n’avions pas d’armes. Pas faute de courage ou d’idée mais faute de canons et de chars. Et puis à 7h29, l’infirmière a sonné. Le ding dong de la porte d’entrée m’a réveillé et c’est tant mieux car j’ignore comment je me serais dépêtrée de cette situation.

Sunday, September 16, 2012

CAUCHEMAR SOUS LARIAM (2)


Deux semaines après le début de la prise de Lariam, j’écrivais ces notes retrouvées dans mon journal de voyage:
            Depuis plusieurs nuits je fais des rêves atroces: une tuerie où un groupe de personnes (dont je faisais partie) se tirent à bout portant et se transpercent le ventre. Le sang et la chair giclent. Ensuite, j'ai rêvé de Bénédicte; elle était devenue folle et dangereuse. Une folie qui ressemblait à celle de Deneuve dans "Répulsion". Elle semblait capable de tuer quelqu'un sur le champ par n'importe quel moyen. Ces yeux surtout faisaient peur. Enfin, une chambre où se tenait une femme condamnée à mort était le décor de mon troisième rêve. Elle allait être tuée, elle se tenait petite derrière les barreaux. Son fiancé était là, lui tenait la main pour l'accompagner dans la mort. Elle souffrait et son visage n'exprimait que la terreur, aucune autre émotion ne semblait habiter son corps. De plus, elle était enceinte. Cela n’avait pas empêché la programmation de son exécution. Le couple qui avait été victime du crime qu'elle avait commis (quel crime? je ne sais pas), un homme et une femme d'une 50aine d'années, regardait la scène par une petite fenêtre incrustée dans la porte de la cellule. En effet, les plaignants ont le droit d'assister à l'exécution, je l’avais lu lorsque je tentais d’écrire une nouvelle sur le sujet. L'idée de regarder quelqu'un mourir et d'en éprouver une certaine satisfaction est bien plus qu’atroce à mes yeux. Elle fait partie de ces choses qui errent dans un monde extérieur au genre humain. Cette idée lui serait étrangère. Mais dans toute forme vivante il y a ce que l’on pourrait appeler des anomalies.
En temps normal je fais des cauchemars bien sûr mais là c'est un concentré express. J'ignore comment l'interpréter. Certainement comme le reflet des multiples tensions que j'ai connu depuis le début du voyage. Je ne pensais pas que cela avait pris autant d'ampleur dans mon esprit.

Monday, September 10, 2012

CAUCHEMAR SOUS LARIAM

Avant propos. Il y a maintenant plus de 10 ans, à l’approche de ma deuxième entrée dans le sous-continent indien, un médecin m’a prescrit du Lariam comme anti-paludéen. Mes rencontres de routards sont l’occasion d’échanger des expériences sur le sujet et je dois bien conclure que la majorité a souffert des mêmes troubles que moi : tachycardie, insomnies, maux de têtes, angoisses… Mais ce qui intrigue le plus mes auditeurs dans ces circonstances c’est quand je leur révèle qu’à cette époque j’ai noté sur papier mes cauchemars. Car les cauchemars sont aussi un thème récurrent que joue le Lariam sur notre organisme. Bien au delà du voyage je retranscrivais tel un scribe de la psyché ces voyages de l’inconscient qui me laissaient certes dubitative mais guerre préoccupée. Il est bien là une chose qui m’a toujours fasciné: les effets du Lariam perdurent bien après la prise ce qui signifie que la molécule laisse une empreinte de son passage. Par quel mécanisme? Mystère. Aujourd’hui les effets secondaires du Lariam sont mieux pris en compte (ils étaient à mon avis parfaitement connus à l’époque) et les personnes concernées semblent plus averties. Cependant le médicament traîne toujours sur le marché.


Je suis dans une forêt verdoyante. Avec une bande. Nous traversons un pont en pierre au milieu de cette forêt épaisse. De part et d'autre c'est la jungle angoissante, un chaos d'arbres, de végétaux étriqués style "La voie royale". Je me trouve dans les bras d'un homme qui me murmure des choses tendres à l’oreille tout en me faisant grimper sur le muret du pont. Tout en continuant de m'apprivoiser avec ses mots de sorcier il dégage son étreinte et, montrant un sourire diabolique, me pousse lentement dans le vide. Il y a une hauteur de 30 mètres environ et je m'agrippe à ses bras maléfiques ne pouvant croire que je bascule de façon irréversible. Dans une ultime poussée de sa part je tombe dans le vide, roulant sur la terre en contre bas. J’atterris consciente et vois les autres en haut, très haut me faire des signes d'adieu. Je ne crie pas. Instinctivement, je comprends que je ne suis pas morte mais condamnée à occuper cet espace n'ayant pour autre compagnie les arbres hostiles et les bêtes féroces. Quelques semaines plus tard, le clan revient pour vérifier l’avancée de ma décomposition. Je gis latéralement dans une mare hideuse et noire. Mon corps flotte. Je suis morte sans l'être. Ils entreprennent alors la remontée de mon cadavre au bout d'une corde. Mon corps se fraye un passage entre les branches. Une fois hissée, je pourrais profiter de cette opportunité pour m’évader. J’ai en effet retrouvé le sentier tracé dans cette jungle mais je décide de ne donner aucun signe de vie. Le clan constatant ma mort de façon formelle jette de nouveau mon corps par dessus le pont exactement comme un des leurs l'avait fait auparavant. Je retrouve mon antre où j'avais commencé ma mort, heureuse d'y nourrir le désir de hanter à tout jamais les lieux.