Avant propos. Il y a
maintenant plus de 10 ans, à l’approche de ma deuxième entrée dans le
sous-continent indien, un médecin m’a prescrit du Lariam comme anti-paludéen.
Mes rencontres de routards sont l’occasion d’échanger des expériences sur le
sujet et je dois bien conclure que la majorité a souffert des mêmes troubles
que moi : tachycardie, insomnies, maux de têtes, angoisses… Mais ce qui
intrigue le plus mes auditeurs dans ces circonstances c’est quand je leur
révèle qu’à cette époque j’ai noté sur papier mes cauchemars. Car les
cauchemars sont aussi un thème récurrent que joue le Lariam sur notre
organisme. Bien au delà du voyage je retranscrivais tel un scribe de la psyché
ces voyages de l’inconscient qui me laissaient certes dubitative mais guerre
préoccupée. Il est bien là une chose qui m’a toujours fasciné: les effets du
Lariam perdurent bien après la prise ce qui signifie que la molécule laisse une
empreinte de son passage. Par quel mécanisme? Mystère. Aujourd’hui les effets secondaires
du Lariam sont mieux pris en compte (ils étaient à mon avis parfaitement connus
à l’époque) et les personnes concernées semblent plus averties. Cependant le
médicament traîne toujours sur le marché.
Je suis dans une forêt
verdoyante. Avec une bande. Nous traversons un pont en pierre au milieu de
cette forêt épaisse. De part et d'autre c'est la jungle angoissante, un chaos
d'arbres, de végétaux étriqués style "La voie royale". Je me trouve
dans les bras d'un homme qui me murmure des choses tendres à l’oreille tout en
me faisant grimper sur le muret du pont. Tout en continuant de m'apprivoiser
avec ses mots de sorcier il dégage son étreinte et, montrant un sourire
diabolique, me pousse lentement dans le vide. Il y a une hauteur de 30 mètres
environ et je m'agrippe à ses bras maléfiques ne pouvant croire que je bascule
de façon irréversible. Dans une ultime poussée de sa part je tombe dans le
vide, roulant sur la terre en contre bas. J’atterris consciente et vois les
autres en haut, très haut me faire des signes d'adieu. Je ne crie pas.
Instinctivement, je comprends que je ne suis pas morte mais condamnée à occuper
cet espace n'ayant pour autre compagnie les arbres hostiles et les bêtes
féroces. Quelques semaines plus tard, le clan revient pour vérifier l’avancée
de ma décomposition. Je gis latéralement dans une mare hideuse et noire. Mon
corps flotte. Je suis morte sans l'être. Ils entreprennent alors la remontée de
mon cadavre au bout d'une corde. Mon corps se fraye un passage entre les
branches. Une fois hissée, je pourrais profiter de cette opportunité pour
m’évader. J’ai en effet retrouvé le sentier tracé dans cette jungle mais je
décide de ne donner aucun signe de vie. Le clan constatant ma mort de façon
formelle jette de nouveau mon corps par dessus le pont exactement comme un des
leurs l'avait fait auparavant. Je retrouve mon antre où j'avais commencé ma
mort, heureuse d'y nourrir le désir de hanter à tout jamais les lieux.
1 comment:
Merci. Merci pour ce délice.
Je reviens tout juste d'Afrique. Ai visiblement fait une bien mauvaise réaction au Lariam pendant deux mois. Et comme une idiote, me suis réjouie que mes rêves me donnent une si belle littérature à écrire (sans savoir encore que mes reins et mes boyaux me feraient payer la prise d'un médicament que je ne tolère pas.)
Merci, j'adhère à mort au concept du prix du cauchemar!
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